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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/699

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s’est appliqué, en remplissant ses hautes fonctions, à avoir une contenance modeste. Sera-t-il encore chancelier dans un mois? Un passage du toast que l’empereur portait l’autre jour à sa garde, a fait croire qu’il méditait une campagne à fond contre les socialistes, et on affirme que le prince Hohenlohe est contraire aux lois d’exception. Ce qui doit le rendre pensif, c’est que la question sociale a été l’occasion de la chute de son prédécesseur, lequel est tombé au moment où il se croyait sûr que son souverain lui sacrifierait son dangereux rival, le comte Eulenburg, président du ministère prussien.

Voici comment une brochure allemande, qui semble avoir été écrite par un homme bien informé, résume les péripéties de cette pièce[1] :

Le 19 octobre, le ministère tient une séance où le comte Eulenburg cherche à s’entendre avec ses collègues au sujet des mesures à prendre contre les partis subversifs. Le 23, M. de Caprivi, qui désapprouve les projets du comte Eulenburg, offre sa démission. Le même jour, l’empereur va le trouver, lui déclare qu’il peut compter sur lui, qu’il a toute sa confiance. Cependant le comte Philippe Eulenburg, ambassadeur d’Allemagne à Vienne, qui passe pour être fort agréable à son souverain, l’a invité à une partie de chasse dans son domaine de Liebenberg. L’empereur y trouve tous les Eulenburg, sauf le président du conseil, qu’il mande par dépêche. Sur ces entrefaites paraît un article de la Gazette de Cologne, où il est dit que l’empereur a donné raison à M. de Caprivi, « qu’il est derrière lui. » Cet article déplaît au souverain : il n’admet pas qu’on dise qu’il est derrière quelqu’un, ni qu’on puisse croire qu’il a engagé l’avenir, qu’il n’autorisera jamais des mesures contre le socialisme plus radicales que celles qui agréent au général de Caprivi. Le 26, il lui fait porter par le chef de son cabinet civil, M. de Lucanus, l’ordre de désavouer l’article. Le chancelier répond qu’il ne l’a point inspiré, mais qu’il y souscrit. Guillaume II lui fait donner sa démission et du même coup accepte celle du comte Eulenburg. Le 29, le journal officiel annonce que le prince Hohenlohe a recueilli l’héritage des deux morts.

Que se passera-t-il demain? Personne ne saurait le dire, et probablement Guillaume II lui-même ne le sait pas encore ; mais au moment opportun, il le saura, l’instinct aura parlé. Les Allemands doivent s’attendre à ce que leur empereur les étonne souvent, et ils seraient en vérité aussi exigeans que présomptueux s’ils se flattaient que les surprises qu’il leur ménage leur seront toutes agréables.


G. VALBERT.

  1. Die Politlk am Berliner Hofe. Leipzig, 1895.