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imprudemment l’alliance, déclarer que la vraie « Rome intangible » était celle de Pie IX ; ils viennent d’observer les manifestations de la hiérarchie catholique, en Espagne comme aux États-Unis, en Belgique comme en Hollande, en France comme en Autriche. Léon XIII, à plusieurs reprises, leur avait donné cette réponse : que le Pape, pour demeurer grand, doit apparaître libre; que l’opinion chrétienne, plus chatouilleuse au XIXe siècle qu’au XIVe, exige une garantie permanente de cette liberté ; qu’elle trouve cette garantie, non dans la loi italienne de mars 1871 ou dans les promesses offertes par la jeune royauté, mais, au contraire, dans l’intransigeance opposée par le Vatican tant à cette loi qu’à ces promesses ; et que les circonstances, enfin, maintiennent le Pape dans cette alternative étrange : se faire captif volontaire, au détriment de sa commodité, ou bien courir le risque, au détriment de son prestige et de son magistère, de devenir le captif inconscient et involontaire d’une nation, tout au moins (ce qui serait presque aussi grave) de passer pour tel. Les calculateurs politiques qui évincèrent ces objections sont évincés à leur tour par la marche des événemens.

Je m’arrête avec respect devant une autre classe de vaincus. Héritiers intellectuels des penseurs italiens de la première moitié de ce siècle, ils ont continué d’associer en leurs cœurs un pieux et sincère attachement à l’Évangile et un fervent amour de l’Italie libre. Par le crédit qui toujours s’attache à des âmes d’une vertu peu commune, par leurs écrits, par leur parole, ils travaillaient, hommes et femmes, à créer un mouvement d’opinion où se reflétât la dualité même de leur âme. Sulla breccia, Sur la brèche : Mlle Giacomelli écrivait naguère, sous ce titre, une œuvre fortement morale, d’une inspiration tout ensemble patriotique et catholique; il ne s’agissait pas de la Porte Pie, mais de cette brèche sur laquelle doit s’exposer et s’évertuer tout homme qui se veut rendre digne de vivre en vivant pour son pays et pour sa foi. La Rassegna Nazionale, publiée à Florence, incarne aussi les idées de cette élite de penseurs[1].

L’unité italienne qu’ils auraient édifiée si l’action des sectes ne les avait devancés, aurait assez notablement différé de l’unité italienne avec laquelle ils doivent aujourd’hui compter. Pellico, d’Azeglio, Gioberti, Rosmini, firent jadis un brouillon de cette grande page historique; mais le brouillon fut fort retouché, et la page est signée Mazzini, Garibaldi ; elle vient d’être contresignée

  1. On en trouverait l’expression toute récente dans l’article qu’elle a publié sur le vingt-cinquième anniversaire, en son numéro du 16 septembre, sous la signature U. P. D.