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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/828

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dès la naissance, à s’agiter et à se consumer, sans force pour vouloir, incapables d’un dessein suivi, jouet des orages intérieurs. Le mal existe en tous les pays; mais le nôtre y est particulièrement exposé, parce que le tempérament qui domine en France est, nous l’avons vu, le sensitif intellectuel. Les pornographes, si justement flagellés par M. Nordau, ne sont point, comme il le prétend, des « dégénérés » ; ils savent parfaitement ce qu’ils font et pourquoi ils le font; mais ce qui est vrai, c’est qu’ils travaillent activement à la dégénérescence. — La littérature de ce genre, répond-on, trouve des lecteurs à l’étranger aussi bien qu’en France. — Oui, mais les gouvernemens étrangers luttent contre le mal en interdisant les livres que nous laissons, nous, s’étaler au grand jour. Ce genre de trafic pseudo-littéraire a sans doute existé de tout temps, mais autrefois la police restreignait la contagion. Que des lois sévères soient appliquées, la maladie sera enrayée sur l’heure. Se fier ici à la « liberté » pour se régler elle-même, c’est, en réalité, porter atteinte à la liberté que nous avons tous de respirer un air sain et de le faire respirer à nos enfans[1].

Parmi les faits qui, contrastant avec ceux qui précèdent, motivent à notre endroit un pronostic favorable, il faut citer la diminution de la mortalité, si notable en France. Au début du siècle, on comptait annuellement chez nous 26 décès par mille habitans ; on n’en compte aujourd’hui que 22. Les tables de mortalité accusent une sensible augmentation de la vie moyenne depuis cent ans. Les compagnies d’assurances, l’ayant appris à leurs dépens, ont dû modifier leurs tarifs. Les médecins se font honneur de ce résultat; on leur a répondu que, malgré les progrès de la médecine et de l’hygiène, ce résultat ne se serait pas manifesté si nous étions aussi dégénérés qu’ils aiment à le dire. Toujours est-il qu’il se produit, par une plus grande durée de la vie, une certaine compensation à notre diminution probable de vigueur vitale. Reste à savoir s’il ne serait point profitable de vivre mieux et moins longtemps. Mais, si nous vivions mieux, nous vivrions plus longtemps encore.


En résumé, certains symptômes fâcheux sont plus visibles en France, parce que nous avons devancé les autres nations européennes.

  1. Dans les villes comme Paris, les divertissemens et spectacles où l’art est vraiment en jeu n’étant pas à la portée des petites bourses, il ne reste plus guère que les cafés-concerts, dont l’influence dépravante sur les esprits incultes a été bien mise en évidence par M. Mismer dans son livre : Dix ans soldat. Il est d’autres villes où la population réclame les jeux du cirque et se rue aux courses de taureaux, à la condition expresse que le sang coule. Les enfans et les femmes assistent au spectacle et s’initient aux joies de la cruauté.