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Le mouvement d’arrêt de la natalité, par exemple, se produira un jour chez elles ; quant à l’absorption des élémens de race blonde dans les races celto-slaves, elle s’observe aussi en Allemagne et en Italie. Même en Angleterre, le nombre des bruns augmente. Il n’est pas démontré que ce soit un irréparable malheur; en tout cas, s’il y a là une « dislocation » ethnique, elle n’est pas particulière à notre pays. De même pour le progrès de l’alcoolisme et de la débauche, dont il ne faut pas juger exclusivement d’après les romans dont on tolère chez nous la publication, mais contre lequel nous avons le tort de ne pas réagir. Cet ensemble de circonstances défavorables, mais encore imparfaitement définies et mesurées, ne saurait justifier notre condamnation à mort. On en doit seulement conclure la nécessité, pour la France comme pour les autres nations, d’abord d’une meilleure hygiène physique, capable de contrebalancer les effets du surmenage intellectuel ou passionnel, puis d’une réaction salutaire contre l’abandon des campagnes au profit des villes, enfin et surtout de lois très rigoureuses contre l’ivrognerie et la débauche. Le succès des mesures prises en Suède et dans certains États de l’Union américaine devrait convaincre nos législateurs, si malheureusement ceux-ci n’étaient sous le vasselage politique des « cabarets ». Quant aux excitations de la presse à la débauche, quelque fermeté de la part du gouvernement et du parlement suffirait à y mettre fin : ici, la tâche est facile, et nous sommes impardonnables de ne pas l’accomplir.


En présence des maux actuels, l’indifférence et le découragement auraient les mêmes effets et sont également à craindre. Rien de pire pour un peuple que l’ »auto-suggestion» de sa déchéance: à force de se répéter qu’il va tomber, il se donne à lui-même le vertige et tombe. Comme, sur le champ de bataille, la persuasion de la défaite rend la défaite certaine, ainsi le découragement national enlève aux caractères leur ressort et devient semblable à l’obsession du suicide. En se payant de mots comme « fin de race » ou « fin de siècle », on s’abandonne au courant général, on se désintéresse, on prétexte son impuissance individuelle contre une destinée qui pèse sur tout un peuple et prend même l’aspect d’une fatalité physique. En réalité, nous l’avons vu, cette fatalité n’existe pas.

Renan insista jadis à l’excès sur l’influence de la race, en même temps que Taine exagérait celle des milieux ; tous deux ont fini par reconnaître dans une nation, — et surtout dans la nation française, plus ouverte aux influences sociales, — un « principe spirituel », aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices