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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/181

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— Je te félicite, Mikaïl Ivanovitch…dit à ce moment Skobelev.

— De quoi ? tout est confus ! Personne ne me rend compte… Je ne vois rien !

— Tu vois bien au moins ta victoire ?

— Ma victoire ?

— Oui, là… Regarde les museaux de tes soldats. Ne lis-tu pas la victoire dans leurs yeux ?

En effet, au fond de ces figures pâles de fatigue, rayonnantes de joie, ce sont des yeux ardens qui cherchent l’ennemi. Les chaloupes à vapeur viennent de débarquer des renforts ; mais, sans les attendre, et comme jalouse d’achever toute seule, la première ligne progresse incessamment au bruit des hourras. Les Turcs se retirent ; rien qu’au rythme de la fusillade, on reconnaît la fin de l’affaire.

— Eh bien ! te voilà convaincu ! reprend Skobelev. Enverras-tu l’ordre d’arrêter tes hommes ?

— J’y songeais… Mais, tu vois, je n’ai pas d’adjudant sous la main.

— J’irai moi-même, si tu veux.

Skobelev, en habit blanc, va se promener sous les dernières balles turques et dire un bonjour aux tirailleurs. On le voit à gauche sous les arbres d’un verger : puis il disparaît dans le ravin. Il revient enfin, et, saluant le général avec la gravité qu’il faut mettre dans l’accomplissement de toute besogne militaire :

— Ordre transmis, dit-il. Partout on se retranche comme tu l’avais commandé.

— Merci, merci… mais ne me salue plus si respectueusement.

— Et pourquoi ne te saluerais-je pas ? Je suis ici ton serviteur…

— Non pas, tu ès mon maître, et tu m’as appris aujourd’hui une bien grande chose, puisque tu m’as appris à lire la victoire dans les yeux de mes soldats.


ART RoË.