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of no importance : quand on pense, rien ne subsiste. » Voilà avec quelle philosophie M. Wilde a tenté d’éblouir et d’effrayer. Elle risque de se trouver cruellement juste si on l’applique à ses œuvres ; lorsqu’on s’arrête et qu’on réfléchit à ce qu’elles contiennent, il n’en reste rien.

Mais j’ai beau essayer de séparer les ouvrages dramatiques de M. Wilde et sa personnalité, je ne puis y réussir. Il les a trop fortement liés ensemble, trop irrémédiablement solidarisés, en faisant de ses opinions la préface nécessaire ou la conclusion obligée de ses drames. Son système dramatique, si on peut l’appeler ainsi, est fondé sur le mépris qu’il professait pour le public comme pour l’art théâtral, en même temps que sur le culte qu’il rendait à son propre esprit. Ses pièces sont un compromis entre ces deux sentimens. Que demandent les imbéciles qui remplissent une salle de spectacle ? Des coups de théâtre, des situations qui se retournent, des caractères qui se renversent, la vie envisagée comme une partie de cartes où A gagne la première manche, B la seconde, et où la troisième manche décide ; des lettres qui se trompent d’adresse, des secrets enfouis pendant vingt ans, et qui sortent de terre au bon moment, des gens cachés derrière des portes pour entendre des choses qu’on veut leur cacher. Quoi encore ? Des paroles plus grandes que nature, des délicatesses impossibles, des coquineries invraisemblables, des dévouemens que tout le monde applaudit et dont personne n’est capable. M. Wilde se considérait comme fort adroit à manufacturer ce genre d’émotions et à manœuvrer les ficelles dramatiques. Après avoir travaillé ainsi pour la canaille, il se dédommageait en s’offrant, à lui et à ses amis, le régal de son esprit, qu’il jugeait de qualité supérieure. Cet esprit, que M. Archer qualifie de « pyrotechnique », consiste à greffer des paradoxes sur des proverbes, à mettre les pieds en l’air et la tête en bas à tous les axiomes du sens commun. Quelquefois on rit de ces mots, et on s’aperçoit qu’ils ne signifient rien, ou fort peu de chose. Au mieux, ils expriment une philosophie dure et sèche, un pessimisme méphistophélique dont une expression élégante et nettement découpée déguise mal la vulgarité, car, hélas ! le pessimisme commence à vieillir et à se démoder. Quand cet esprit est sur les lèvres de lord Illingworth, le libertin, on l’accepte comme un des traits essentiels du personnage. Mais lorsque M. Wilde est obligé, comme dans The ideal Husband, d’introduire des caractères inutiles qui n’ont d’autre emploi que d’embraser ses fusées et ses chandelles romaines, quand l’action est arrêtée et que les acteurs du drame, les bras croisés, n’ont qu’à regarder passer l’esprit de M. Wilde, l’impression des spectateurs