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lignes de distance, les discours des tribuns ou des consuls et le compte rendu de quelque enterrement ou de quelque mariage ; et pourtant, grâce aux circonstances, ces petits faits devinrent bientôt plus importans que le reste. Depuis l’Empire, il n’y avait presque plus d’assemblées du peuple ; quant à celles du sénat, Auguste, qui se plaisait à défaire ce qu’avait fait César, défendit de nouveau qu’on en publiât les procès-verbaux. En supposant que cet ordre n’ait pas été exécuté à la lettre, il est probable qu’on n’en donna plus qu’un assez court résumé. Dès lors il était naturel que la partie essentielle des acta senatus et populi, celle qui avait été d’abord leur raison d’être, se trouvant de plus en plus réduite, les nouvelles de Rome, ou, si l’on veut, les faits divers, qu’on y avait ajoutés, prissent peu à peu le dessus, et que l’accessoire finît par devenir le principal. C’est ce qui ne manqua pas d’arriver.

Nous pouvons, je crois, nous faire une idée assez exacte de ce que devaient contenir ces grandes affiches qui se renouvelaient tous les jours, et que les curieux venaient lire et copier au forum. Il y avait d’abord une partie officielle, c’est-à-dire ce qui restait, ce qu’on voulait bien laisser connaître, des procès-verbaux du sénat, les décrets des magistrats, les lettres et les discours des empereurs, avec la mention des interruptions et des applaudissemens qui les avaient accueillis[1] ; puis une partie que nous pourrions appeler semi-officielle, et qui n’est pas moins intéressante. Elle comprenait, avec les nouvelles de la cour, les « communiqués » de l’autorité impériale. César y fît mettre qu’il avait refusé le titre de roi, qu’on lui offrait. Les cérémonies importantes y étaient décrites ; on y inscrivait tous les jours les noms des personnes que l’empereur avait reçues au Palatin. Nous savons que Livie et plus tard Agrippine s’attribuèrent le même privilège, et qu’elles y firent mentionner aussi les visites qu’on leur faisait, ce qui blessa beaucoup Tibère et Néron. Quant à la partie réservée aux faits divers, elle devait être très bien remplie, si nous en jugeons par le nombre de récits extraordinaires qu’elle a fournis aux auteurs latins. Pline surtout, qui aime tant l’étrange et le surprenant, lui doit beaucoup : c’est là qu’il a pris l’histoire d’une pluie de briques qui tomba sur le forum, pendant que Milon

  1. Nous savons par Pline que les acclamations du sénat furent mentionnées dans les procès-verbaux à partir de Trajan. M. Mommsen pense que la mention des interruptions était plus ancienne. Dans le discours de l’empereur Claude, qu’on a retrouvé sur des tables de bronze, à Lyon, et qui évidemment a été pris dans le journal de Rome, on lit ces mots : « Il est temps, Claude, de dire au sénat où tu veux en venir. » On croit d’ordinaire que Claude ici s’interpelle lui-même, ce qui a paru fort étrange. L’opinion de M. Mommsen est qu’on a introduit ici une interruption d’un sénateur peu respectueux. Claude, on le sait, n’était guère respecté, et l’on ne se gênait pas pour l’appeler un imbécile en sa présence.