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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/62

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Quatorze fois depuis qu’il existe, c’est-à-dire depuis un siècle, le jury français a été l’objet de réformes et de retouches dans son mode de recrutement. Faut-il souhaiter et préparer une quinzième expérience ?

Nous réservons l’examen de cette question à une autre partie de ces études. Ici, en recherchant la composition du jury parisien, nous n’avons eu pour but que de savoir exactement quels sont les hommes qui vont accomplir devant nous leur besogne de justiciers.


VII

Il y a dans notre jury :

18 commerçans, 8 propriétaires ou rentiers, 1 écrivain célèbre, 1 capitaine retraité. 1 chef de bureau, 3 architectes, 3 commis ou employés, 1 ouvrier charpentier, 1 professeur, 2 ingénieurs, 1 médecin.

A l’appel de son nom, chacun a répondu : Présent. Voici l’heure instructive où « ceux qui ont des motifs d’excuse à faire valoir » vont les présenter. Celui qui a assisté à ce spectacle est fixé sur l’empressement des Parisiens à remplir les fonctions de juré !

Au moment où nous sommes, deux groupes se constituent : le groupe des consciencieux qui prétendent accomplir leur mandat, et le groupe des fuyards décidés à s’évader à tout prix et cherchant à leur fuite un prétexte légal. Cette dernière catégorie a des subdivisions. D’abord ceux qui organisent savamment une retraite définitive, une retraite sanctionnée par l’arrêt de la Cour qui va statuer sur les excuses. Ceux-là ont su se procurer une pièce sérieuse, un bon certificat. D’autres, moins ambitieux, ne vont pas jusqu’à solliciter leur radiation de la liste de session, mais ils sont décidés à découvrir chaque matin un motif plausible d’être libérés pour la journée.

Ces derniers, assez observateurs, et renseignés par quelqu’un dans la coulisse, varieront leurs moyens, siégeront une fois ou deux, « pour ne pas se faire trop remarquer. » Le matin, vers onze heures, on les verra affairés, tantôt dans les couloirs, guettant l’avocat, tantôt auprès du cabinet de l’avocat général. Le pouvoir de récusation appartient à la défense et à l’accusation, et il se trouve que ce pouvoir, si rébarbatif d’apparence et qui a pour base la méfiance, devient dans la pratique un aimable pouvoir, semblable dans les mains de ceux qui l’exercent au droit de grâce d’un souverain.

Pour être récusé, le juré insidieux observe les figures. Tantôt c’est la mine de l’avocat, tantôt celle de l’avocat général qui « lui revient » et le dispose à l’attaque. D’ailleurs, s’il échoue