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il n’est pas quitte : il doit en sus un peu de cette science qu’il a acquise et qui n’a de valeur que s’il la partage avec des ignorans. Pendant que pour lui les ouvriers travaillaient de leurs mains, ont-ils pu apprendre les conditions de l’épargne, ses moyens et ses résultats ? Lorsque M. Benjamin Delessert et M. de la Rochefoucauld-Liancourt ont introduit en France les caisses d’épargne, ils rendaient un service incomparable à tous ceux qui vivaient d’un salaire. Comment, à eux seuls, les ouvriers ont-ils pu deviner les avantages de l’association pour mettre en commun les risques de maladie, pour diminuer le prix de la vie, pour trouver des prêts ? Ce sont les fondateurs des sociétés de secours mutuels, des sociétés coopératives de consommation et de crédit qui ont apporté aux travailleurs ces soulagemens, à la civilisation ces progrès. C’est à ceux que le travail quotidien n’absorbe pas à résoudre ces difficiles problèmes. Pour y réussir, il faut du temps et du capital disponibles : ils possèdent l’un et l’autre. Ce qui a été accompli, grâce à eux, en ce siècle est prodigieux : l’épargne et la mutualité sous toutes leurs formes produisent des résultats que nous avons pu mesurer en 1889 à l’Exposition d’économie sociale. Le mouvement qui emporte en ce sens les intelligences est général. Allez en Angleterre : vous trouverez des Français qui suivent le mouvement des trades unions ; d’autres qui examinent les habitations à bon marché et rapportent des plans en France ; allez en Lombardie, en Allemagne : vous en rencontrerez qui étudient le mécanisme des banques populaires et la variété de leurs formes ; observez les efforts vaillans des maîtres de forges de France assurant leurs ouvriers contre les accidens ; voyez les merveilles produites par les restaurans populaires de Lyon ; examinez l’assistance par le travail à Marseille, à Bordeaux, à Lille et à Paris. Il y a en France un nombre extraordinaire d’hommes voués à ces problèmes, jaloux de leur libre initiative, sachant en user, ne demandant à l’Etat que la liberté générale, une cohorte de bonnes volontés à l’affût du progrès à accomplir, y employant leur vie, fiers d’améliorer à force de dévouement la condition humaine.

C’est là qu’il faut aller chercher les élémens du parti conservateur. Il ne convient pas de le recruter parmi les politiciens en disponibilité, las des campagnes d’hier et en quête de celles de demain : il s’agit de trouver des troupes fraîches, des cœurs chauds, des convictions ardentes qui cherchent dans l’action politique, non la satisfaction d’une ambition doublée de vanité, mais un moyen d’obtenir deux résultats également nécessaires : remettre l’ordre dans la société et réaliser le bien dont ils ont en eux la conception.

Nous avons énuméré quelques-uns des services que peuvent