Il doit être déjà dans la cour du palais. » La pauvre femme eut une minute terrible. Elle ne pouvait escamoter Lambertuccio dont le cheval, en bas, dénonçait la présence et, « se sentant deux cavaliers dans la maison », elle se crut morte. Mais elle se remet aussitôt, tend un couteau nu à Lambertuccio et le supplie de courir au-devant du mari, avec une figure irritée, de se jeter par les escaliers en criant : « Je jure par Dieu que je te retrouverai ailleurs ! » puis, de sauter à cheval et de fuir. Le mari était encore dans la cour, tout ébahi d’y voir un cheval ; il fut bien plus surpris encore de l’allure emportée et des paroles étranges de Lambertuccio qui, sans lui dire un mot, enfourcha sa monture, piqua des deux et disparut. Isabetta attendait son mari en haut de l’escalier, et, avant de répondre à ses questions, le conduisit tout près de sa chambre entr’ouverte, afin que Leonetto entendît bien ses paroles : « Messire, j’ai eu une belle peur. Un jeune homme que je ne connais pas est entré jusqu’ici en courant, poursuivi par messer Lambertuccio tenant un couteau à la main. Le malheureux, tout tremblant, s’est réfugié dans l’appartement. — Madame, dit-il, secourez-moi, que je ne meure point à vos pieds. — Mais l’autre approchait, criant : Où es-tu, traître ? — Je me plaçai sur le seuil et l’empêchai d’aller plus loin, et, par courtoisie, il céda à ma prière et se retira dans l’état où vous l’avez vu. » Le mari approuve sa femme et la remercie d’avoir sauvé l’honneur de sa maison. « Quelle honte si cet homme avait été tué sous notre toit ! » Cependant il veut découvrir le mystérieux fugitif, qui avait eu le temps d’apprendre son rôle et qui sortit, encore bien ému, de ses rideaux. Il conta bravement que Lambertuccio l’avait pris pour un autre, et devait être un peu fou. « Ne crains rien, dit l’honnête mari, je te prends sous ma sauvegarde. » Il fit souper Leonetto entre sa femme et lui, puis lui donna un cheval et le ramena à Florence, jusqu’à sa porte. Le soir même, il joignit Lambertuccio « en secret » ; fidèle à la leçon que Madonna lui fit au départ, tout en croyant assurer la tranquillité de Leonetto, il apaisa l’inquiétude du fier gentilhomme qui se demandait comment finirait une aventure dont il ne comprit jamais le premier mot.
De ce conte singulier nous devons retenir une vue, ou plutôt une sensation que renouvellera plus d’une fois encore l’histoire de la Nouvelle italienne. Songez que, sans la présence d’esprit (je n’ose dire l’impudence) d’Isabetta, la blanche villa, ses escaliers de marbre et la chambre de la jeune femme, si tièdement assoupie en une demi-nuit voluptueuse, pouvaient se trouver tout à coup inondés de sang. Lambertuccio surprend Leonetto derrière les tentures et le poignarde : dans sa fuite, il rencontre