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CHARLES GOUNOD



Liebe sei vor allen Dingen
Unser Thema, wenn wir singen.


Que l’amour soit avant toute chose
Notre thème, quand nous chantons.
Goethe.


Avant de parler de lui, nous remercierons d’abord les fidèles gardiens de sa mémoire de n’en avoir pas été pour nous les gardiens avares et jaloux. À des mains qu’ils savaient pieuses ils ont bien voulu confier les manuscrits, les notes, les lettres, tout ce qui leur reste du maître[1]. Ainsi nous leur devons non de l’avoir mieux connu, mais de l’avoir connu plus longtemps et au delà même de la mort. Pendant quelques semaines il nous a semblé le réentendre, presque le revoir dans le cabinet de travail aujourd’hui sombre et muet, naguère harmonieux de ses chants, illuminé de son regard, de ce regard qui justifiait le mot du poète : « Notre prunelle dit quelle quantité d’homme il y a en nous[2]. » C’est chez lui, qu’il nous fut donné d’aller encore à lui ; mort, il nous a été pour la dernière fois ce que vivant il nous était toujours : un maître et un ami, lo mio maestro e lo mio autore. Devant nous, pour nous, il a revécu sa vie et son œuvre dans l’ordre même des années. Que ce soit aussi l’ordre de cette étude. Nous ne l’abordons ni sans appréhension ni sans mélancolie. En un travail de critique, de critique musicale surtout, le passage de l’émotion à l’analyse, la rentrée en soi-même et en soi seul, a

  1. Depuis que ces pages ont été écrites, la Revue de Paris a publié, sous le titre de Mémoires d’un artiste, les fragmens d’une autobiographie de Gounod. Nous renverrons quelquefois le lecteur à ces Mémoires, qui s’arrêtent en 1859.
  2. Victor Hugo.