Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/814

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courent, a-t-on dit, comme feraient les magnanarelles. De leur pieuse hâte on n’a pas compris le naturel et la simplicité. Comment cheminèrent-elles donc, il y a deux mille ans, par les sentiers de Judée ? Fallait-il autre chose ici que cette pastorale, cette espèce de noël attristé, ce noël de mort ? Elles coururent au tombeau, les humbles femmes, comme à la crèche autrefois avaient couru les bergers. Elles allèrent pleurant, et la naïve symphonie est mélancolique, printanière aussi, presque souriante à travers les larmes, car elles allèrent par un matin d’Orient, par un matin déjà fleuri, rendre des soins funèbres, mais tendres à leur doux maître enseveli. Qu’on ne prenne donc point ici la défense du grand art ; il n’est pas menacé. Que plutôt on admire un art intime et familier, un sentiment primitif et profond, réaliste au meilleur sens du mot ; qu’on reconnaisse enfin ce double idéal dont Gounod un jour nous disait qu’il doit être à la fois « supérieur et prochain ».

« Supérieures » sont des pages comme le discours de l’ange aux saintes femmes, les derniers mots surtout : Voyez, voici la place où son corps fut posé. Devant cet élan de ferveur, ce paroxysme de passion, ne criez pas non plus au sacrilège. Gounod s’en serait justifié (et avec quel éclat !) non pas même par la piété, mais par la plus simple, la plus stricte foi. Ces linges ont touché les divines paupières. Est-ce donc autre chose qu’un dogme, le dogme d’amour par excellence, dont les notes extasiées et, puisqu’il faut le dire, amoureuses, chantent ici le prodige ? Ceci est mon corps, a dit le Christ un jour, et la phrase ou la cadence de Gounod est sublime, parce que de ce corps lui-même elle nous fait presque sentir la présence et comme l’attouchement divin.

Voici de nouveau les beautés « prochaines ». Ayant vu le Seigneur et l’ayant entendu, les saintes femmes s’en vont. Non pas certes comme elles étaient venues, mais consolées, mais joyeuses. Et leur rapport aux apôtres, ce scherzo mendelssohnien, ce babillage, j’allais dire ce commérage pieux, cette hâte et cette émulation dans le récit, tout cela forme encore un chef-d’œuvre de réalisme primitif et de familière vérité. Étonnés et peut-être un peu assourdis, les apôtres doutent d’abord. « Ils croyaient, dit saint Luc, que c’étaient des rêveries. » Alors la nécessité de les convaincre élève au-dessus d’elles-mêmes les humbles messagères. Elles ne racontent plus, elles proclament, elles confessent, et de leurs lèvres devenues éloquentes jaillit comme une flamme le témoignage sacré. L’antithèse est heureuse entre la bonhomie des pages qui précèdent et le lyrisme du cantique : Vos bontés paternelles,