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huguenots étaient mécontens. Au dedans et au dehors, tous ceux qui étaient engagés dans la politique anti-espagnole partageaient la même méfiance. Il semble même qu’autour de l’évêque on appréhendât de le voir succomber sous le poids des lourdes charges qu’il avait assumées ; car on lui adjoignit pour les affaires militaires un vieux commis nommé Beaucler, chargé de lui « faire leçon ». Mais il montra bientôt qu’il n’avait de leçon à recevoir de personne.

Cet homme était fait pour gouverner. Jusque-là, il avait marché, contraint et courbé, dans les avenues de l’ambition et de l’intrigue. A peine au pouvoir, sa taille se redresse : il est encore tout vibrant de jeunesse : sa sagesse même a quelque chose de passionné. Il ne faut nullement se représenter ici le futur cardinal, l’homme d’État de grand poids et de physionomie grave que la tradition, par un procédé de simplification trop aisé, ramène à un type unique et consacré. Le nouveau ministre est beaucoup plus près de ce qu’a été le marquis de Chillou. C’est à peine s’il a perdu l’aspect de l’adolescence, ses habitudes physiques et son ton cavalier. Il ne paraît en évêque que dans les cérémonies publiques. Dans le cours de la vie, c’est un jeune courtisan maigre et grêle, à l’aspect sérieux et intelligent. C’est ainsi, par exemple, qu’il apparaît à l’abbé de Marolles, mandé du collège pour recevoir une semonce sur la conduite de son père, mêlé à la révolte de Nevers ; au milieu de l’algarade, le collégien eut le temps de jeter un coup d’œil autour de lui : « Là, dit-il, était M. de Luçon, en habit noir, renversé sur une chaise de cuir, tandis que le garde des sceaux était debout et me parlait sur ce sujet »…

On rencontre aussi l’évêque aux bals de cour, même aux bals masqués. Dans les audiences, il est empressé, affable, parle abondamment, mêlant, au besoin, le français et l’italien. Il écrit vite et bien. Il écrit beaucoup. Parfois, il dicte à ses secrétaires de courts résumés qu’ils n’auront qu’à développer. Mais, le plus souvent, il prend lui-même la plume et s’applique avec un réel souci de la forme et même une pointe de prétention à ce sujet.

En tout, il a la coquetterie des débutans, l’entrain des jeunes une confiance dans le succès que l’expérience n’a pas encore atteinte. Ignorant encore de la force des petits obstacles, il va devant lui, court et galope avec une gaîté, une allure où il y a du fond et de la race, mais aussi une étonnante imprescience des événemens qui pourtant le pressent déjà, et de la catastrophe qui va bientôt l’envelopper. C’est de ce contraste que naît le drame de ce court et impétueux premier ministère.