avec la mêlée des systèmes, avec les théories vulgarisées, répandues partout, des fatalités ataviques, du déterminisme, de l’influence corruptrice du milieu social, qui donc déclarera que « cet homme est coupable » sans émotion ni doute, avec sérénité ?
J’entends bien qu’une objection sera faite. Les jurés, hommes simples et peu lettrés, ignoreront les systèmes philosophiques et n’en seront pas embarrassés. Je prétends que c’est une erreur, et que dans tous les cerveaux, même les plus bornés, toutes les idées du siècle parviennent à s’introduire, se reflètent comme en un miroir trouble. L’école, la caserne, le livre, le journal, ont agi sur ces esprits ; les notions simples et absolues y ont été ébranlées, et à leur insu sommeillent en eux tous les doutes philosophiques que la parole de l’avocat ou de l’expert va éveiller.
Cet homme, leur dira-t-on, est le produit fatal, inévitable, d’une hérédité, d’une race. Il est un criminel-né, victime irresponsable de phénomènes physiologiques dont son être est le théâtre : théâtre bien moderne, où l’accusé fait les gestes que lui dictent de la coulisse ses barbares aïeux.
D’autres voix répondront : Cet homme est-il dangereux ou non ? Le coupable est celui qui nuit à la société eu refusant de s’adapter aux principes qui la soutiennent. S’il est incorrigible, il est hors de propos de soulever à son sujet des problèmes insolubles. Mettez-le hors d’état de nuire !
Mais d’autres voix s’élèveront encore, voix nombreuses, que le jury écoute d’une oreille singulièrement attentive : S’il y a désaccord irrémédiable entre cet homme et la société, à qui la faute ? N’est-ce pas la société elle-même, la corruptrice, qui a déterminé le crime par son organisation vicieuse du travail, de la famille, de la propriété ?
Et cette objection est sans doute plus saisissable au jury que toute autre. Le juré n’a-t-il pas vu dans le journal, dans la réunion publique, glorifier le criminel martyr, prophète de la révolution inévitable ?
L’accusé qui est là, à son banc, même si son crime est matériellement avéré, reste donc pour son juge un redoutable mystère. Est-ce un malade ? est-ce une victime ? est-ce un criminel libre et volontaire, méritant son châtiment ? En tous lieux, aujourd’hui, ces questions se discutent, et même dans les milieux les plus éclairés, elles n’aboutissent le plus souvent qu’à une mêlée confuse d’où ne surgit aucune solution. Ici, en Cour d’assises, il faut conclure, et traduire immédiatement son opinion dans les faits ; il faut que le juré choisisse, dans la panoplie des systèmes, l’arme avec laquelle il frappera !