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Mais enfin, nous dira-t-on, cette difficulté, résultat de la complexité de l’esprit du siècle, n’est pas spéciale au jury ; elle est inhérente à l’acte de juger, et il nous faut bien passer outre, puisque les hommes ont besoin de jugemens.

Cela est indiscutable ; mais il nous a paru utile de combattre l’opinion si légèrement admise de la facilité de la tâche du jury. Il faut se rendre compte des difficultés de l’œuvre pour sentir la nécessité de créer un bon outil pour l’accomplir. Or l’œuvre du jury est une des plus ardues parmi les œuvres humaines. Juger en toute équité la responsabilité d’un homme, cela est impossible en soi, et correspond à la recherche de l’absolu. La juger le moins mal possible, c’est une tâche fort lourde, et dont la difficulté dépasse celle de la plus subtile des questions de droit. Ces questions, en effet, ne comportent qu’un nombre limité de solutions entre lesquelles un jour la science choisit ; le magistrat s’appuie d’ailleurs sur des jugemens antérieurs rendus sur le point qui le préoccupe. Le jury, par son essence, ne peut s’appuyer sur aucune jurisprudence. Son verdict ne se liera pas à la chaîne des précédens pour former avec eux un corps de doctrine de nature à guider les jurys futurs. Chacun de ses verdicts est un cas unique, et comme un décret nominatif de la Providence, applicable à telle action commise par tel individu, inapplicable à tout autre. Reconnaissons que de tels décrets sont malaisés à rendre, et appliquons-nous du moins à ne rien ajouter aux difficultés inhérentes à une pareille tâche.


XII

Or, malheureusement, notre audience d’assises est encombrée de ces « gestes et cérémonies » qui « bien souvent gastent la justice, comme trop d’agiots et de baise-main la piété », et qui ont de plus l’inconvénient grave de lasser l’attention du jury. Je sais bien que nos vieux auteurs répétaient à l’envi que « Justice gist en formalités ». Mais si ce précepte fut exact au lendemain des temps barbares, quand il fallait en imposer à des hommes rudes et contenir leurs violences dans les lisières d’un formalisme rigoureux, aujourd’hui il est sans objet. L’abus des précautions sacramentelles, des allées et venues, des « délibérés » pour le moindre « incident », des menus actes solennels dans lesquels une erreur minime peut conduire à tout annuler, se fait sentir à chaque pas de la procédure. Les exemples seraient innombrables ; en voici quelques-uns qui se reproduisent sans cesse.

De bon matin, les jurés de session sont venus au Palais, fort pressés, et désireux, si leur nom ne sort pas de l’urne, de