et de généreux, tantôt il n’exprime que sécheresse, rouerie et néant. Que croire ? je crois toujours le bien, tant que je n’ai pas de preuves réelles du contraire et, tout en étant sur mes gardes, je ne comprime aucune de mes inspirations de tendresse et d’amitié. Aussi ne puis-je que vous remercier de ne pas l’abandonner (10 décembre 1846). »
Après 1848 les bons rapports entre les cousins n’étaient plus troublés, et le jeune prince appuya fortement le refus de son père. Thiers se résigna à l’inévitable. « Après tout, fit-il, quatre ans sont bientôt passés ; mon tour viendra à l’élection prochaine. Jusque-là nous lui donnerons des femmes, et nous le conduirons. »
J’eus aussi dans le même temps une révélation imprévue. J’étais préfet de Chaumont. Aucune passion ne m’aveuglait. Mes sympathies allaient plutôt à Louis-Napoléon. Piétri l’ainé, modeste secrétaire d’un avocat à la Cour de cassation, très lié avec mon père auquel il dut, après le 24 février, sa nomination de commissaire en Corse, nous avait si souvent entretenus du prisonnier de Ham et de ses aspirations qu’il nous avait disposés en sa faveur. Cependant le prince n’était pas mon candidat. Quoique sachant combien étaient nulles les chances de Lamartine, c’est à lui que je réservais mon vote en reconnaissance de la bonté paternelle qu’il m’avait témoignée. Mon ministre Dufaure demandait des informations sur les chances probables de l’élection. Je consultai les maires, les conseillers généraux, les magistrats, les notables. La grande majorité me répondait : « Nous ignorons ce qui se passe ailleurs, mais dans notre département paisible, ami de l’ordre, d’une sage liberté, le succès de Cavaignac nous paraît très probable. » Et je transmettais consciencieusement à Dufaure ces pronostics. Mais voilà que quelques jours avant l’élection je vais faire une tournée dans une commune limitrophe du département de l’Aube. Une tournée impliquait une revue de la garde nationale. Après la revue je montais sur une table et j’adressais à la foule une allocution. Cela amusait beaucoup ces calmes Champenois qui n’étaient pas habitués à ces façons préfectorales. Aussi, lorsqu’on m’annonçait quelque part, ils accouraient en grand nombre et ceux qui étaient dépourvus de fusil mettaient leur parapluie au port d’armes afin d’être aussi passés en revue. Ce jour-là, la foule était plus considérable, car on était venu aussi par curiosité du département voisin. Mon allocution finie, s’élève d’abord un cri de : « Vive le préfet ! » aussitôt couvert par le cri bien autrement formidable et prolongé de : « Vive Napoléon ! vive l’Empereur ! » C’était le : « Ah ! je le connais » du porteur d’eau. Quelques jours après,