Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Louis-Napoléon réunissait presque l’unanimité des voix, et j’eus grand’peine à empêcher qu’on ne brûlât les maisons de ceux qui s’étaient prononcés contre lui.

Dans un tel état de l’esprit populaire, le prince n’était obligé à aucun manifeste, on ne lui en demandait pas. Il suffisait de mettre son nom sur une affiche. Ce nom avait le privilège unique, par lui-même, indépendamment de tout commentaire, en restant le symbole de la gloire nationale, de donner deux certitudes en apparence contradictoires, mais également nécessaires : l’attachement aux principes démocratiques et le ferme maintien de la sécurité sociale. Nonobstant, le prince se crut obligé à un manifeste de candidat. Il le rédigea avec une habileté supérieure et d’un style impérial. Dans cette œuvre bien équilibrée il y avait un mot d’espérance pour toutes les catégories de citoyens. Il promettait aux effrayés, de ne reculer devant aucun sacrifice pour défendre la société si audacieusement attaquée, de rétablir l’ordre, la confiance, le crédit, les finances ; aux catholiques, la protection de la religion, la liberté des cultes et de l’enseignement ; aux libéraux, de restreindre dans de justes limites le nombre des emplois qui dépendent du pouvoir et font d’un peuple libre un peuple de solliciteurs, d’éviter cette tendance funeste qui entraine l’Etat à exécuter lui-même ce que les particuliers peuvent faire mieux que lui, et de préserver la liberté de la presse des deux écueils qui la compromettent toujours, l’arbitraire et la licence. Aux pacifiques, il montrait la paix comme le plus cher de ses désirs. La France dans sa première Révolution n’avait été guerrière que parce qu’elle avait été forcée de l’être ; aujourd’hui qu’elle n’était pas provoquée, elle pouvait consacrer ses ressources aux améliorations intérieures et, tout en maintenant les lois fondamentales qui font la force de notre organisation militaire, alléger et non aggraver le fardeau de la conscription. Aux patriotes, il donnait l’assurance qu’en étant pacifique, sa politique serait résolue, une grande nation doit se taire ou ne pas parler en vain. A l’armée, il promettait de veiller au présent et à l’avenir non seulement des officiers, mais aussi des sous-officiers et des soldats, et de préparer aux hommes qui ont servi longtemps sous les drapeaux une existence assurée. Au peuple des travailleurs il faisait espérer la diminution des impôts les plus onéreux, l’encouragement en France et en Algérie des entreprises pouvant donner du travail aux bras inoccupés, des institutions de prévoyance pour la vieillesse, toutes les améliorations enfin qui tendent non à ruiner le riche au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous. Aux vaincus, il ouvrait des perspectives de clémence : sa république serait généreuse et aurait