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foi dans son avenir. Lui qui avait connu l’exil et la captivité, il appelait de ses vœux le jour où la patrie pourrait sans danger faire cesser les proscriptions et effacer les dernières traces de nos discordes civiles. Enfin il faisait appel, sans distinction départis, à tous les hommes que recommandent leur haute intelligence et leur probité. Le point essentiel du manifeste était celui relatif à ses vues d’avenir. Il était ainsi conçu : « Je me dévouerai sans arrière-pensée à l’affermissement d’une république sage par ses lois, honnête par ses intentions, grande et forte par ses actes. Je mettrai mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli. »

A la veille de l’élection, dans une lettre adressée au nonce, le prince prit un engagement spécial à l’égard du pape. Il affirma « que le maintien de la souveraineté temporelle du chef vénérable de l’Église était intimement lié à l’éclat du catholicisme comme à la liberté et à l’indépendance de l’Italie. »

Le message rédigé, le prince le soumit à plusieurs personnages politiques, parmi lesquels Thiers et Emile de Girardin, rédacteur en chef d’un des journaux les plus répandus, la Presse, qui, en haine de Cavaignac, par lequel il avait été emprisonné aux journées de Juin, soutenait ardemment la candidature bonapartiste. Thiers, surpris de ce langage nouveau auquel il eût préféré ses finasseries habituelles, n’approuva pas. Le passage sur la République généreuse provoqua surtout sa critique : c’était une promesse d’amnistie, et au lendemain des journées de Juin il la croyait dangereuse. D’autres s’élevèrent contre la phrase sur le pouvoir restitué au bout de quatre ans : « Effacez, effacez, prince, dirent-ils, pourquoi prendre un engagement ? — Qu’en pensez-vous ? dit le prince en se retournant vers Girardin. — Si vous êtes résolu à tenir la promesse, répondit celui-ci, maintenez-la, sinon effacez. » Le passage fut maintenu : en effet, le prince était alors fermement résolu à observer sa promesse.

Un autre conseil de Thiers n’eut pas meilleure fortune. L’élection n’étant pas douteuse, il demanda au prince quel costume il prendrait quand il serait président : un costume civil ou un costume militaire ? « Celui du Premier Consul ou quelque chose d’approchant serait très bien, ajouta-t-il. — Probablement, répondit le prince, je choisirai entre l’uniforme de général de la garde nationale ou de l’armée. — Mais alors, fit Thiers, comment voulez-vous que nous fassions, moi ou tout autre, quand nous serons appelés à vous succéder ? Croyez-moi, prince, prenez l’habit du Premier Consul. » Le président choisit l’uniforme de la garde nationale. Une telle insubordination l’acheva dans l’esprit de Thiers. L’illustre homme d’Etat ne distinguait les hommes que par la