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les formules mélodiques toujours brèves, toujours concises ; la déclamation vigoureuse, en relief, que jamais les instrumens n’étouffent ou n’embarrassent. Le récit de Robert à sa mère se développe et glisse sur la trame d’orchestre souple et forte, sur les accords étroitement liés qui portaient naguère, au second acte du Roi d’Ys, la plainte adorable de Rozenn. Ces syncopes, caractéristiques aujourd’hui de la colère des Jacques, et jadis de celle de Margared ; le rythme même de ces sonneries de trompettes, tout cela nous était familier depuis plus de sept années, depuis le jour d’un triomphe qui fut comme une revanche et une réparation tardive. Et le lendemain de ce jour, sur des mers éclatantes où nous allions naviguer durant les mois d’été, nous emportâmes le chef-d’œuvre fier et doux. Il nous devint ami, et de nos compagnons aussi nous le fîmes aimer. Toutes ces choses sont passées ; mais l’autre soir elles nous redevenaient présentes, et c’est ainsi qu’en écoutant le premier acte de la Jacquerie, nous crûmes entendre sonneries cloches, hélas ! déjà lointaines, les cloches mélancoliques de la ville d’Ys.

On connaît le sujet et les personnages de la Jacquerie. Les librettistes ont donné pour chef à la révolte populaire le fils d’une paysanne au grand cœur, proche parente de Fidès. Et ce héros plébéien s’étant épris, sans la connaître, d’une noble demoiselle qui, sans le connaître davantage, s’est pareillement éprise de lui, ce poème participe à la fois d’un drame lyrique de Scribe et d’un roman de M. Georges Ohnet : c’est quelque chose comme le Prophète et la Grande Marnière panachés.

L’élément Prophète a fourni, au second acte, une forte et belle situation, et la musique de M. Coquard — de M. Coquard tout seul — n’y est point inégale. Le musicien de cette longue scène, qui constitue un acte presque tout entier, s’est véritablement élevé sur les sommets. La nuit, dans la clairière, les paysans soulevés ont élu pour chef Robert, le fils de l’humble Jeanne. Il accepte de les commander et de les conduire, lorsque tout à coup sa mère apparaît. Et sa mère, loin de laquelle il a vécu les dures années de sa jeunesse errante, sa mère à laquelle hier seulement il est revenu, sa mère ne veut pas que l’enfant de nouveau l’abandonne. Elle le refuse à ses compagnons, à ses frères de misère et d’opprobre ; elle défend qu’il combatte, et que surtout il meure, fût-ce pour la vengeance, pour le devoir et la liberté. Ainsi le débat, le conflit dramatique éclate entre deux personnages, entre le fils et la mère d’une part, et de l’autre côté la foule. Cette disposition ou cette architecture est celle des grands modèles d’autrefois, et notamment du quatrième acte du Prophète. Un tel cadre n’a pas été trop vaste pour M. Coquard. Il a su le remplir. Il a brossé largement un tableau dont il faut d’abord admirer la composition. Les figures individuelles y sont à leur place ; à sa place aussi le fond, et les rapports