ou les valeurs entre les plans sont observés ici avec une justesse, une entente des proportions et de l’harmonie toute classique. Ainsi des maîtres qu’on affecte aujourd’hui de dédaigner, bâtissaient leurs chefs-d’œuvre, ceux qu’on nous donne pour morts, et qui ne sont qu’endormis. Autour de leur sommeil les herbes mauvaises ou folles, les buissons et les ronces ont crû. Il est bon que parfois un pèlerin fidèle écarte l’épineuse broussaille, qu’il nous rapporte un reflet de leur beauté pâlie, et comme une promesse qu’elle se réveillera.
Non seulement dans l’ordonnance mais dans la musique même de cette scène M. Coquard s’est souvenu du Prophète. Trois fois il a reproduit ou du moins rappelé certaine série d’accords étages au-dessus de l’exorcisme de Fidès : Que la sainte lumière descende sur ton front. La même progression (ou peu s’en faut) souligne ici d’abord les revendications et les menaces des conjurés. Puis elle atteste le combat qui se livre dans le cœur maternel. Elle en signale enfin l’issue héroïque. Le musicien, par d’ingénieuses variantes, a su plier les harmonies à l’expression des sentimens divers, en même temps que parce triple retour il assurait l’unité du tableau.
Qu’il était long, qu’il était lourd pour un compositeur, le pathétique entretien de la mère et du fils ! Avec une force, une aisance aussi qu’on ne lui soupçonnait pas, M. Coquard en a soutenu le poids. « Je suis, nous disait-il un jour, de l’école de Gluck. » En écoutant ce second acte nous étions presque de son avis. Le fait est que voilà de simples, de justes, de nobles accens. Il y a de tout en ce beau rôle féminin depuis le récit très bref, quoique mélodique et chantant, jusqu’à, l’ample période, à l’arioso. Musique de théâtre, où rien ne languit ; musique musicale, où rien ne s’étrangle. Aux instances de. son fils, aux adjurations de la foule, cette femme oppose quelques répliques vraiment admirables : des phrases, moins que des phrases parfois, des notes, mais si pleines, si lourdes de maternelle tendresse ! Comme elles appuient, ces notes, et comme elles pèsent ! Et de quelle voix, de quelle éloquence lyrique, de quels gestes même l’incomparable interprète en a-t-elle encore et pour ainsi dire aggravé la beauté ! Jusque dans les mains impérieuses et frémissantes de Mlle Delna, dans ces mains abaissées et appesanties, comme s’est affirmé le droit auguste, la prise jalouse et sacrée de la mère sur son enfant !
Mais il ne suffisait pas de soutenir un tel dialogue : il le fallait élargir, élever de plus en plus, et M. Coquard n’y a point failli. C’est une chose émouvante que cette fin d’acte, que ce recours contre les dernières défenses d’une maternité humaine, au sublime exemple de la divine maternité. L’œuvre monte par là de quelques degrés encore, et passant de l’ordre terrestre à l’ordre surnaturel, elle suit la progression indiquée par Joubert : « Plus une parole ressemble à une pensée, une pensée à une âme, une âme à Dieu, plus tout cela est beau. »