en décembre 1835, il vit arriver chez lui Chapus, non pas avec l’argent souhaité, mais avec un nouveau roman. Cette fois, il le prit au mot tout en riant ; il s’empressa d’éditer la Carte jaune, histoire de Paris, et pour le payer, il lui transmit son excellente créance sur ledit sieur P… avec 500 francs bien sonnans. Auteur et libraire se quittèrent également satisfaits : celui-ci de n’avoir plus de créance, et celui-là d’avoir vingt-cinq louis.
On condamne le romantisme en principe, mais tous les esprits s’y laissent prendre cependant. Ainsi de la morale et de tout, ici-bas. » C’est le jeune Adolphe Thiers qui terminait ainsi, en 1821, une lettre adressée au président de l’Académie toulousaine de Clémence Isaure, et l’avocat de vingt-quatre ans marquait déjà par ce billet, comme par sa pièce de concours dirigée contre le romantisme, cette ardeur dans la discussion, cet absolutisme dans les opinions qui se développa si vite chez lui avec l’âge et par le succès. Il n’a pas eu le prix et s’en console aisément, « n’ayant aucune confiance aux jugemens des sociétés littéraires qui, souvent, n’entendent pas même les questions qu’elles proposent » ; mais il s’étonne, dans un concours littéraire dirigé évidemment contre « la littérature à laquelle on a donné le nom de romantique », de voir couronner un ouvrage rempli justement du plus mauvais goût romantique, et il s’explique de moins en moins la sévérité qu’on a montrée à son égard. Une chose dut le surprendre bien davantage par la suite, un phénomène littéraire qu’il ne s’expliqua peut-être jamais : la brillante destinée de cette école alors réprouvée, la plus-value de ces ouvrages longtemps dédaignés, car l’écrivain et le bibliophile, en M. Thiers, durent être également surpris de s’être à ce point trompés ou plutôt, sans confesser leur erreur, d’avoir reçu un tel démenti des événemens.
Comme il n’est pire ironie que celle du hasard, un an après que le jeune Thiers s’était exprimé en termes si dédaigneux, un livre paraissait qui allait renouveler la poésie française en affirmant le romantisme à la face du monde : les Odes de Victor Hugo. Jusqu’alors ce poète de dix-huit ans avait simplement publié avec ses deux frères et quelques amis les livraisons du Conservateur littéraire, où il se faisait à bon droit la part du lion, à la fois critique et créateur ; mais si ses articles témoignent d’un sens critique, étouffé plus tard par l’explosion de ses facultés lyriques et