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la forme ou à sa propre personne. » Tel est le sentiment que M. de Bismarck exprimait sur un homme qu’il avait été à même de bien connaître et d’apprécier. Il avait gardé de M. Lefebvre de Behaine l’impression d’un diplomate prêt à tous les sacrifices personnels par dévouement à son pays, d’ailleurs capable et, croyait-il, ambitieux. Il ne se trompait que sur ce dernier point. Si M. Lefebvre de Béhaine l’avait désiré, il lui aurait été plus d’une fois facile de quitter notre ambassade auprès du Vatican pour obtenir un poste, sinon plus élevé dans l’échelle morale, au moins plus important dans ce que M. de Bismarck appelait la hiérarchie diplomatique ; mais de même qu’en 1873 il s’était jugé en situation de rendre plus de services à Munich que partout ailleurs, de même il a cru qu’à Rome, sous le pontificat de Léon XIII, il était devenu plus qu’un autre le serait peut-être ce que les Anglais appellent the right man in the right place, c’est-à-dire l’homme même de la fonction. En conséquence, il a borné l’ambition qu’on lui supposait à être le représentant de la République auprès de Léon XIII. Ce n’est un secret pour personne que le pape à pour M. Lefebvre de Behaine de l’estime et de la sympathie ; il a de plus l’habitude de traiter avec lui les affaires, et il est arrivé à un âge où on n’aime plus à voir les figures changer autour de soi. Il semble donc, ou du moins il semblait jusqu’à ce jour à peu près certain que M. Lefebvre de Behaine resterait à Rome aussi longtemps que vivrait Léon XIII, et nul aussi ne paraissait mieux préparé que lui à veiller aux intérêts de la France au moment où s’ouvrira le futur conclave. Nous souhaitons que l’événement soit encore éloigné, et rien heureusement ne fait craindre qu’il soit prochain ; mais enfin nous devons nous tenir toujours prêts, et le moment serait bien mal choisi pour introduire dans notre représentation au Vatican la même mobilité que dans nos ministères.

Pourquoi donc M. Lefebvre de Béhaine a-t-il été mis en congé sans l’avoir demandé, et appelé brusquement, peut-être rappelé à Paris ? Aurait-il cessé de mériter la confiance de son gouvernement ? On pourrait le croire si nous avions un sujet quelconque de nous plaindre de la politique de Léon XIII à l’égard de la France et de la République ; mais en est-il ainsi ? Depuis le jour où, avec me intrépidité d’esprit et une force de volonté singulières Léon XIII a publié les célèbres encycliques dans lesquelles il proclamait la légitimité du gouvernement républicain en France et invitait les catholiques à s’y soumettre, a-t-il hésité, a-t-il reculé, dans la voie où il s’était engagé ? En est-il jamais sorti ? On se rappelle la surprise et le désarroi que l’acte décisif du Saint-Père a provoqués en France dans les anciens partis. La république, plus heureuse peut-être qu’elle n’avait toujours été sage, recueillait une adhésion morale qui devait consolider sa situation politique, non seulement à l’intérieur, mais au dehors. Nous ne