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V. — UNITÉ DE L’ITALIE ET ANNEXION DE NICE DÉCIDÉES

Néanmoins l’empereur, loin d’obéir aux suggestions des adversaires de l’Italie, qui n’étaient d’ailleurs pas en harmonie avec le sentiment public, s’abandonnait aux conseils de tous les hommes du parti italien dont il est parlé plus haut. Tous le circonvenaient, tous l’excitaient à achever, coûte que coûte, le grand œuvre interrompu à Villafranca. Essayer de l’achever par une reprise d’armes tendant à arracher enfin la Vénétie à l’Autriche eût été une dangereuse imprudence ; une coalition européenne en aurait été le résultat. La reine Victoria écrivait vers ce temps-là au roi Léopold de Belgique : « L’agitation continuelle de notre voisin et les bruits qui circulent détruisent toute confiance. Vraiment, c’est trop mal ! Aucun pays, aucun État du monde ne songerait à attaquer la France, tous seraient enchantés de la voir prospérer ; mais il faut qu’elle trouble tous les coins de la terre, qu’elle brouille les cartes et mette les uns contre les autres, ce qui, tôt ou tard, finira par une croisade en règle contre ce perturbateur universel[1]. » La seule voie praticable était celle que conseillait M. de Cavour de sa retraite de Leri, où il se tenait depuis la paix : suppléer à l’impossibilité de faire la guerre par les habiletés de la politique ; compenser à l’Italie l’abandon momentané de la Vénétie par d’autres annexions devant fatalement avoir pour résultat, non plus une confédération d’Etats italiens, mais leur unification sous le sceptre du roi de Piémont.

Ainsi Napoléon III put revenir à sa première idée de rectifier la frontière française du côté de l’Italie par l’annexion de la Savoie et du comté de Nice, tandis que Victor-Emmanuel, de son côté, put, sans croire trop risquer, s’inscrire pour 10 000 francs dans la souscription ouverte au profit du projet de l’expédition de Garibaldi en Sicile[2].

Voilà comment un lien secret a, en réalité, uni ces deux noms en apparence si opposés : Nice et Marsala. Et si l’on veut une preuve qui ne laisse aucun doute sur cette déduction historique, on la trouvera facilement dans les documens qu’a laissés la polémique surgie, à propos de la cession de Nice, entre M. Rattazzi et M. de Cavour.

  1. Lettre datée du 8 mai 1860.
  2. Ce n’était là qu’un très faible, mais très ostensible témoignage de l’adhésion donnée par le roi aux projets de Garibaldi sur la Sicile. Secrètement, ses sacrifices étaient bien autrement importans : « J’ai déjà donné, disait-il confidentiellement, trois millions pour la Sicile ; je donnerai encore deux millions. » Voir la Politique anglo-prusso-ilalienne dans la Revue de Paris du 1er décembre 1894, p. 516. — Voir aussi Agostino Bertani e i suoi tempi, par Jessie White Mario, vol. I, p. 429.