l’absurde décret[1] qui, au moment le plus critique, va priver la France d’un pareil homme de guerre. Ce jour-là, Bernadotte a bien mérité du pays ; car c’est précisément quelques semaines après cet incident que Masséna remporte sa belle et décisive victoire de Zurich (septembre-octobre 1799).
Au ministère le plus important, — puisque la République est en guerre avec une partie de l’Europe, — au ministère de la Guerre, les titulaires du portefeuille apparaissent, passent, s’évanouissent avec une rapidité d’ombres de lanterne magique. L’exemple le plus significatif de cette désastreuse instabilité est fourni par Bernadotte. Appelé au ministère dans des circonstances très critiques, après le désastre et la mort de Joubert à Novi (août 1799), Bernadotte a fait preuve d’activité, de résolution, tant contre les soulèvemens royalistes à l’intérieur que contre la coalition[2]. Il a donc préparé, par une bonne administration, les deux grands succès de Brune en Hollande, à Bergen, et de Masséna en Helvétie, à Zurich (septembre-octobre 1799). Bernadotte, en butte à l’hostilité de Sieyès, qui voudrait la Guerre pour son protégé Marescot, n’en est pas moins chassé du ministère[3].
Autre trait qui, comme la résistance à la conscription, fait songer aux derniers temps de l’Empire : les généraux se jalousent, se montrent moins entreprenans, et, devenus trop riches, payent moins allègrement de leur personne sur le champ de bataille : « la discorde fait des progrès parmi nos meilleurs généraux ;… l’ardeur des chefs militaires commence à se ralentir : ils ont acquis la fortune…[4] » Et comment l’ont-ils acquise ? Hélas ! en s’inspirant des exemples funestes que donnent les hommes qui gouvernent la France, en tirant profit de leurs commandemens, comme directeurs et ministres tirent profit de leurs fonctions, et, puisqu’il faut tout dire, en mettant au pillage les pays conquis.
La pénurie dans laquelle il est laissé par le gouvernement oblige Bonaparte à nourrir la guerre par la guerre, durant la campagne de 1790 et 1797. Des lourdes contributions qu’il lève sur l’Italie, deux parts sont faites : avec l’une, il nourrit, habille,
- ↑ Mémoires de Barras, t. III, p. 470-471.
- ↑ Voir au t. IV, p. 6 à 10, quelques-unes des circulaires de Bernadotte, rédigées par son secrétaire à la Guerre, Rousselin de Saint-Albin.
- ↑ Voir l’édifiante histoire de la destitution de Bernadotte, t. IV, p. 10 à 21.
- ↑ Mémoires de Barras, t. III, p. 338 et 330. Voir aussi, même tome : « Masséna est piqué de se trouver placé sous les ordres de Jourdan » (p. 323). Bernadotte consent à servir sous Jourdan, mais non sous Masséna (p. 325). Macdonald brigue le commandement en chef de Championnet et mine sourdement son crédit auprès du Directoire (p. 318 et 325). Moreau intrigue contre Schérer (p. 332), etc.