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désira ensuite savoir le nom de ce général réformé qui avait tout à l’heure voulu le tuer ; en l’apprenant, il dit : « Je me rappelle : ah ! c’est celui que j’ai été dans le cas de mettre aux arrêts en Hollande pour d’assez vilaines choses. »

M. Thibaudeau, qui était venu de grand matin se réunir comme amateur aux inspecteurs de la salle, eut l’adresse de les quitter à temps et de se glisser, pour se sauver, dans les Tuileries, connue il s’était glissé pour venir. Les vipères savent glisser, parce qu’elles rampent toujours. Le fait raconté depuis par Thibaudeau lui-même est l’une des rares vérités qu’il ait dites dans ses Mémoires.

Mes appartemens renferment grand nombre de députés, de citoyens, de généraux, de militaires. Les opérations d’Augereau épouvantent les conspirateurs, ils se dispersent et se cachent ; les Tuileries et les salles d’assemblée du Corps législatif sont fermées : des gardes en défendent l’entrée. Le Conseil des Cinq-Cents s’assemble à l’Odéon, et le Conseil des Anciens à l’Ecole de santé : ils déclarent que les troupes et les républicains ont bien mérité de la patrie ; des lois populaires et de circonstance sont rendues ; les députés conjurés avec Pichegru, leur chef, sont arrêtés. La conspiration découverte est imprimée et affichée. Les collets noirs sont déchirés et leurs élégans porteurs sont dispersés ; pas une goutte de sang n’est versée dans cette mémorable journée qui sauve la patrie !

Dès le 19 fructidor on chercha à soulever le faubourg Saint-Antoine ; mais les bons citoyens qui l’habitent firent justice des intrigans qui voulaient les tromper et leur faire méconnaître le but patriotique de la journée du 18.

C’était bien assez d’avoir eu la douloureuse nécessité de faire un coup d’Etat, qui mutilait à la fois les deux premières autorités de la République, sans y joindre le malheur, et l’on pourrait dire le crime, de tirer un profit personnel de cette journée, et de ne pas en laisser tous les résultats à la République. Mais ce n’est pas ainsi que le vulgaire comprend les grands actes de la politique : il ne peut pas s’imaginer que l’on fasse une entreprise d’autorité sans augmenter la sienne et même sans s’emparer du pouvoir souverain. C’était la chose la plus simple et la plus convenable, selon beaucoup de gens : le conseil m’en était astucieusement donné par des courtisans qui ne croyaient pas me trouver sourd à leurs insinuations, et même par des républicains qui pouvaient penser qu’il n’y avait rien de plus naturel que de m’emparer de la dictature, et qu’elle pouvait être le salut de tous. C’est ainsi qu’Augereau, qui passait en ce moment pour le coryphée du patriotisme, ne croyait point manquer du tout à ses