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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/881

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Constantine. Après s’être couvert de gloire sur le Coudiat-Aty, en repoussant, dans des mêlées furieuses, les sorties des Kabyles, il fournit, au jour de l’assaut, deux pelotons de cent hommes, capitaines Serviez et de Saint-Arnaud, à la colonne d’attaque du colonel Combe. L’on connaît ce fait de guerre sans précédent. A sept heures, la colonne Lamoricière franchit la brèche, s’engage dans la ville, se heurte à une résistance acharnée et reste ensevelie, presque entière, sous une mine qui éclate et un mur qui s’écroule. A sa suite, la colonne Combe est lancée par détachemens successifs. Au milieu des fougasses qui sautent, des incendies qui s’allument, des terrasses qui s’effondrent, la deuxième colonne, à moitié détruite, aborde la barricade qui a arrêté la première, l’arrache enfin à la rage des Turcs et des Kabyles, en perdant son chef blessé mortellement, se jette sur une deuxième barricade aussi désespérément défendue, s’ouvre un cheminement par les maisons, et refoule dans la Kasbah la résistance brisée.

Jusqu’en 1854, ces soldats uniques le portèrent, sur tous nos champs de bataille d’Afrique, leur bel élan de légionnaire ; ils furent les préférés de tous ces victorieux de notre grande conquête, qui semblent d’un autre âge aujourd’hui, tant la gloire s’est éloignée de nous, et le plus bel éloge qu’on en puisse faire, c’est qu’ils étaient dignes de chefs comme Lamoricière, Bugeaud, Changarnier, Pélissier, Canrobert. Sur toutes les pentes insurgées des montagnes kabyles, ils se dressèrent invincibles, comme ils foncèrent à travers les Ksours, aux jardins palissades, aux impénétrabilités meurtrières : Zaatcha les vit tels qu’à Constantine, effrayans combattans des mêmes luttes sauvages. Il n’est pas de ravin fameux aux rouges flancs des collines de là-bas, où ils n’aient couché de leurs cadavres, pas de blanc marabout, au plus élancé des cimes, qu’ils n’aient atteint, dans leurs bonds invaincus. De l’ouest à l’est, ils allèrent, et partout on les voyait les mêmes, qu’ils fussent de l’unique Légion, ou qu’elle se dédoublât en deux régimens étrangers ; on eût dit des hommes de fer, infrangibles aux extrêmes tensions du combat. Et quand la guerre chôma, ils bâtirent des villes, ils défrichèrent des steppes, Bel Abbès fait partie de leur histoire : dans la richesse de sa grande plaine aux denses cultures, il y a bien du courage de légionnaire !

Autant ils ont d’élan, autant ils possèdent de résistance. La faim par les chemins, la soif dans le sud, la misère dans l’inconnu, ne les démoralisent ni ne les arrêtent. La souffrance les met en valeur, comme tout risque à affronter, même les épidémies, s’il s’en trouve. Le choléra ne les avait pas épargnés à Batna.