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célèbre de Malakoff, dont le héros, en cette journée du 4 juin, allait devenir aussi celui de Magenta.

Au moment de l’expédition du Mexique, il n’y a plus qu’un régiment étranger, mais la tradition n’a pas varié. L’on y apprend tout à coup que les zouaves viennent d’être seuls désignés pour marcher. Les officiers s’indignent, adressent directement une pétition à l’empereur, sont réprimandés pour cette infraction à la hiérarchie, mais quelque temps après, leur inspecteur général, le général Deligny, prend en main leur cause et le régiment reçoit l’ordre d’embarquer.

Il eût été vraiment dommage de priver la Légion de l’immortalité de Camaron, et les fastes de l’armée française d’un des plus brillans faits d’armes qu’on ait dressés à sa gloire. L’histoire en est inoubliable[1]. C’est le 30 avril 1863 que le capitaine Danjoti et les sous-lieutenans Vilain et Maudet, à la tête de la 3e compagnie du 1er bataillon, forte de soixante-deux hommes, se rendirent au-devant de deux convois venant de la Vera-Cruz. L’on partit à une heure du matin ; à Palo-Verde on s’arrêta pour le café. Tout à coup, la plaine se peuple de cavaliers mexicains ; l’air manque autour du détachement : on renverse les marmites et on se dirige sur le village de Camaron. Il est fouillé, dépassé, mais la route est barrée, les assaillans sortent de toutes parts. Le carré est formé ; le feu des faces a raison de la charge ; on profite d’un répit pour escalader un talus et gagner un peu de champ. Une seconde charge est encore repoussée. Alors, fonçant à leur tour, les légionnaires font une trouée et gagnent une maison isolée, contiguë à la route. Attenante à cette maison est une cour bordée de hangars ouverts, avec deux grandes portes sur une face. Le capitaine Danjou s’en empare, barricade les portes, mais ne peut occuper qu’une moitié de la maison ; l’ennemi a déjà pris l’autre. A neuf heures et demie, le capitaine est sommé de se rendre ; il refuse et le feu continue, furieux. A onze heures, le nombre des ennemis ne laisse plus d’illusions ; ils sont là plusieurs milliers, on se sent perdu. Danjou fait jurer à ses hommes de se défendre jusqu’à la mort, tous jurent. Quelques instans après, il est tué, et le sous-lieutenant Vilain prend le commandement.

Vers midi, on entend battre et sonner ; est-ce le régiment qui arrive ? on se croit un moment sauvé. Non, il ne s’agit que de trois nouveaux bataillons mexicains qui apportent leur appoint aux assiégeans. Des brèches sont percées qui donnent des vues sur toute la cour ; la situation devient intenable. A deux heures, le sous-lieutenant Vilain est tué, le sous-lieutenant Maudet lui

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1878.