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n’est pas un jeu de poète savant, mais au contraire, comme il résulte de cette découverte de M. Jeanroy, une combinaison éminemment populaire, déterminée par le mouvement de nos plus vieilles danses.

On peut donc définir ainsi la carole, après M. G. Paris et d’après lui : c’est une vaste ronde, où les chants se partagent entre un soliste et le chœur. Mais il faut, je crois, mettre en évidence plus qu’il n’a cru devoir faire un épisode de cette danse : la balerie. Un texte connu du roman de la Rose, par exemple, nous montre deux « damoiseles » qui font baler un danseur en mi la carole :


L’une venoit tout belement
Contre l’autre, et quant il estoient
Pres a pres, si s’entregetoient
Les bouches, qu’il vous fust a vis
Que s’entrebaisassent ou vis ;
Bien se savoient desbrisier…


Qu’est-ce à dire, sinon que la balerie est une sorte de scénette mimée et chantée, qui s’exécute à deux ou trois personnages au milieu de la ronde, tandis que danseurs et danseuses tournent à l’entour ? On comprend mal la plupart des fragmens de chansons dont nous allons citer quelques-uns, si l’on essaye de les répartir entre le chœur des danseurs qui forment la chaîne et la conductrice « qui chante avant » ; mais prêtez-les aux acteurs d’une petite figure de ballet, ils s’animeront d’un mouvement plus expressif.

Telle était la forme de ces chansons ; quel en était l’esprit ? Un joli nom, retrouvé par M. G. Paris, convient aux plus innocentes d’entre elles : les reverdies. Elles disaient la joie du renouveau. C’étaient « en l’onor de mai » de gais appels aux danseurs : « A la reverdie, au bois ! à la reverdie ! » C’était un coryphée qui passait devant ses compagnons et ses compagnes, leur partageait une brassée de fleurs, et chantait :


Tendez tuit la main a la flor d’esté,
A la flor de lis,
Por Dieu, tendez i !


C’étaient des groupes qui mimaient les rites du printemps. Tantôt (si toutefois on peut comprendre ainsi ces quelques fragmens), un gardien ou une gardienne du bois de mai, — la reine de mai peut-être, — en défendait jalousement l’entrée aux indignes : « Je gart le bos — Que nus n’en port — Chapel de flor, s’il n’aime… » « Nus ne doit lés le bois aler — Sans sa compaignete. »