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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/242

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but bien défini, on pourrait les prendre au sérieux ; mais ce n’est pas le l’ait de celle dont nous parlons. Peut-être dira-t-on qu’elle a servi à se compter, et que les deux armées, l’armée radicale et l’armée modérée, ont pu faire autour d’elle la revue de leurs forces. Mais cela même n’est pas vrai. Il n’y a eu qu’un vote significatif, le premier, celui qui a eu lieu sur la proposition d’ajournement présentée par un député du centre, M. Maurice Lebon. Nous l’avouons, les radicaux ont eu la majorité : elle a été de cinq voix. Il était difficile pour la Chambre de se couper en deux plus exactement, et dès lors de s’annuler plus complètement. En fin de compte, les modérés, qui se désintéressaient de scrutins sans valeur, ont pris le parti d’obliger les radicaux à voter à la tribune : ne pouvant plus voter pour les absens, ils ne se sont plus trouvés que 248, ce qui n’est pas, à beaucoup près, la majorité de la Chambre. Où est donc cette majorité ? La vérité est qu’on n’en sait rien : peut-être n’y en a-t-il pas, et cela est inquiétant.

Une majorité solide, durable, propre à soutenir un gouvernement, ne se produit pas dans une Chambre par suite d’une formation spontanée. Les hommes réunis tendent à se diviser et à se subdiviser à l’infini. Pour les grouper et les maintenir à l’état de cohésion, pour faire cette chose rare et précieuse qu’on appelle une majorité politique, il faut une chose non moins rare, un homme d’État, et bien que nous ayons battu beaucoup les buissons depuis quelques années, nous n’en avons pas trouvé. Il est vrai que nous avons, pour des motifs divers, frappé d’interdit tous ceux qui pouvaient donner quelques espérances. Les hommes sur lesquels on avait cru pouvoir compter se sont successivement dérobés, à moins que nous ne les ayons mis nous-mêmes hors d’usage. Il en a été ainsi pour les modérés : si nous partions des radicaux, il faudrait dire la même chose. Les radicaux n’ont pas été beaucoup plus heureux que leurs adversaires. M. Bourgeois n’a montré que de la dextérité mélangée de défaillances : d’autres n’auraient peut-être pas eu de défaillances, ils l’assurent du moins, mais ils manquent prodigieusement de dextérité. Il en est résulté que la Chambre, livrée au hasard des circonstances, a donné depuis l’origine des majorités tantôt à M. Charles Dupuy, tantôt à M. Casimir-Perier, tantôt à M. Ribot, tantôt à M. Bourgeois, qui est son dernier caprice, mais qu’elle n’est restée fidèle à personne. Nous ne disons pas que ce soit sa faute, ni que personne ait mérité sa fidélité : seulement, lorsqu’il y a tant de majorités successives dans une assemblée, en réalité il n’y en a pas du tout. Alors on parle de concentration. La concentration est un moyen empirique de faire une majorité de pièces et de morceaux au détriment du gouvernement. On se partage le pouvoir, chacun en prend un lambeau. On se ménage réciproquement, on se distribue fraternellement la menue monnaie des faveurs administratives, mais d’ailleurs on ne fait rien. Si le ministère avait une