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répugnances contre le personnage se réveillent avec colère, avec « une horreur passant toute mesure », alimentées par les insinuations du comte de Provence, par les scabreuses anecdotes colportées à la Cour par ce qui reste du parti Choiseul. Très obligeante pour transmettre les sollicitations aux autres ministres, elle refuse de se charger de celles qui regardent le département de d’Aiguillon. Pour Mme du Barry, qui ne suit pas l’avis de Mercy et se présente un peu trop souvent chez la Dauphine (quatre ou cinq fois l’an aurait dû suffire), c’est toujours avec des transes que Marie-Antoinette apprend qu’elle lui viendra faire sa cour. Comme c’est d’ordinaire après la messe du Roi, le dimanche, que se présentent les dames, elle passe tout son temps d’église à prier Dieu de l’éclairer, de lui révéler si elle doit parler ou ne pas parler. C’est chaque fois, pour Mercy, une bataille à livrer, et plus d’une est sans succès, comme au jour de l’an de 1773, où Marie-Antoinette, devant les grâces de la Du Barry attifée de diamans et entourée de ses amies, ne se décide pas à desserrer les dents.

A la Cour, les hostilités contre la favorite ne désarment pas et saluent avec triomphe ces courtes reprises, bien personnelles cette fois et un peu fantasques. Parmi les dames de Marie-Antoinette, la révolte est décidée, et celle qui la mène est précisément cette Mme de Cossé que Mme du Barry a fait nommer dame d’atours sans qu’elle l’eût sollicité. Après une visite obligatoire, faite en s’installant à Versailles, la charmante duchesse, qui a autant de séduction d’esprit que d’intransigeante vertu, a déclaré qu’elle ne reparaîtrait plus chez l’amie de son mari. Un jour, le duc, commandant des Cent-Suisses, a l’idée de faire faire un uniforme de son régiment pour son jeune fils, qui marche à peine, et d’en amuser la favorite et le Roi. Mme de Cossé accepte cette fantaisie ; Marie-Antoinette, comme il est naturel, reçoit d’abord le petit soldat, et, en ayant beaucoup ri, l’amène avec sa mère chez Mesdames et chez la comtesse de Provence. Quand il s’agit de monter chez Mme du Barry, Mme de Cossé déclare à son mari qu’elle ne saurait en être, et comme Mme du Barry s’obstine à vouloir sa présence, l’enfant y perd d’être présenté au Roi. Un acte public de la duchesse menace de devenir plus grave : elle refuse de souper chez le duc de la Vrillière, parce que le souper est offert à la favorite. Devant les reproches irrités de Mme du Barry, M. de Cossé, ne sachant comment excuser sa femme, assure qu’elle agit par les ordres de la Dauphine. La Cour entière est émue par l’incident, qui grossirait vite, si Mercy, pour dégager l’Archiduchesse, ne dénonçait partout le mensonge de