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gravité, aux yeux de la loi transvaalienne, du crime qu’ils ont commis. Ce crime, il ne faut pas l’oublier, leur est commun avec Jameson qui est en liberté sous caution à Londres, attendant un jugement qui viendra on ne sait quand, et avec M. Cecil Rhodes qui continue de diriger en dictateur, dans l’Afrique australe, les destinées de la Compagnie à Charte : exemple inquiétant de ce que la justice humaine a de variable suivant les latitudes et de sa subordination à de certains intérêts. Nous allons voir que M. Chamberlain a presque établi la théorie de cette subordination. M. Krüger a pris le parti de saisir en quelque sorte la conscience universelle des faits dont il avait à se plaindre au nom de son pays. Il a distribué assez copieusement aux journaux des extraits de la correspondance saisie sur les prisonniers, et c’est de cette publication qu’est ressortie avec évidence la preuve de la participation personnelle et directe de M. Cecil Rhodes à ce qu’on avait cru d’abord être un coup de tête d’un étourdi généreux, alors qu’il s’agissait d’une vaste conspiration de la Compagnie à Charte et de son principal directeur.

Ces révélations inopinées devaient avoir leur contre-coup à la Chambre des communes. Sir William Harcourt a tenu à dire ce qu’en pensait le parti libéral. Il a caractérisé sans aucun ménagement la conduite de la Compagnie à Charte, association financière, a-t-il dit, dont le crime est palpable, dont l’odieuse cupidité a produit tout l’imbroglio que découvrent les fameuses dépêches publiées par M. Krüger et qu’il a qualifiées lui-même de « monumens de l’impérialisme boursicotier. » Enfin, il a demandé au gouvernement ce qu’il comptait faire : la Compagnie à Charte dépend de lui, et il ne pourrait pas s’abstenir sans assumer une part de responsabilité ou de complicité dans toute cette affaire. Il est impossible d’être plus véhément que ne l’a été sir William Harcourt ; mais on a remarqué qu’il n’avait pas conclu, et que, parlant au nom de l’opposition libérale, il n’avait rien proposé lui-même, et s’était contenté d’interroger le gouvernement sur ses propres intentions. Ses intentions, M. Chamberlain ne les a pas cachées ; il ne veut rien faire du tout. Avant la séance de la Chambre des communes, les membres du conseil d’administration de la Compagnie à Charte avaient essayé de savoir de lui s’ils devaient accepter la démission de M. Cecil Rhodes, — car M. Cecil Rhodes a donné sa démission. Il est vrai que, par une dépêche ultérieure, il a fait entendre qu’on aurait tort d’y donner suite avant la répression de la révolte des Matabélès. Encore une révolte singulièrement opportune : dès que M. Cecil Rhodes a été de retour dans l’Afrique australe, elle a éclaté, et lui seul, personne n’en doute, est à même de la réprimer. Il est de plus en plus l’homme nécessaire. — Aussi, M. Chamberlain s’est-il refusé à donner un conseil quelconque à la Compagnie à Charte : c’est à elle à s’inspirer de ses intérêts. Devant la Chambre des