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savait pas davantage, comme c’est un devoir de le faire pour des enfans, égayer la vie autour d’elle. Le séjour solitaire de La Vigne devait être triste pour les deux petites filles, et la récréation de longues promenades à pied ne leur paraissait vraisemblablement pas suffisante. Au contraire, bien qu’elle eût un peu engraissé, Madame Royale était restée très belle. Elle avait conservé le goût de plaire, et sa coquetterie, qui ne trouvait plus d’emploi, s’exerçait sans doute à captiver ses petites filles. Ce don mystérieux qui s’appelle le charme survit ; parfois à la jeunesse, et il s’exerce sur tous les âges. Lors même qu’elles ont des cheveux blancs, un instinct secret attire jusqu’aux enfans vers les femmes qui furent aimées. George Sand a peint quelque part, en lignes exquises, ce charme de l’aïeule qui a su vieillir. « Métella fortifiée contre le souvenir des passions par une conscience raffermie et par le sentiment maternel que la douce Sarah sut développer en son cœur, descendit tranquillement la pente des années. Quand elle eut accepté franchement la vieillesse, quand elle ne cacha plus ses beaux cheveux blancs, quand les pleurs et l’insomnie ne creusèrent plus à son front des rides anticipées, on y vit d’autant plus reparaître les lignes de l’impérissable beauté du type. On l’admira encore dans l’âge où l’amour n’est plus de saison, et dans le respect avec lequel on la saluait entourée et embrassée par les charmans enfans de Sarah, on sentait encore l’émotion qui se fait dans l’âme, à la vue d’un ciel pur, harmonieux et placide que le soleil vient d’abandonner. » Ainsi peut-on se représenter la vieillesse de la belle Jeanne-Baptiste de Nemours, alors qu’ayant renoncé aux galanteries qui avaient déshonoré la première moitié de sa vie, tenue à l’écart de toutes choses par la haine persistante de son fils, elle vivait solitaire, dans ce vieux palais assez triste qui s’élève encore aujourd’hui au milieu de la grande place de Turin, et qui a reçu à cause d’elle le nom de Palazzo Madama. Elle y passait toute l’année, considérant une journée passée à la Vénerie ou à Moncalieri comme un grand voyage. Ses petites-filles devaient donc venir assez fréquemment l’y voir. Les journées qu’elles y passaient, comparées à la solitude de La Vigne, étaient pour elles des journées de divertissemens. Les grandes salles du Palais Madame où se tiennent aujourd’hui les séances de la Cour de cassation, étaient témoins de leurs jeux, auxquels leur grand’mère prenait part, entres autres à un certain jeu de la bête, et ce serait un joli tableau, à la fois de genre et d’histoire, que celui où un peintre représenterait cette belle et majestueuse aïeule, se mêlant aux ébats de ces petites et jolies princesses. Le soir venu, elles devaient s’en