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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/502

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retourner, un peu tristes, à La Vigne, et rêver toute la semaine au prochain voyage, en accompagnant leur mère dans ses promenades à pied, ou en écoutant d’une oreille distraite les leçons de Mme Dunoyer.

Quelles pensées, quels rêves traversaient cependant cette petite tête brune et bouclée, pendant ses leçons, ses promenades ou ses jeux ? A l’âge où peu s’en faut que nos filles ne jouent encore à la poupée, ces filles de rois ou de princes savaient que leurs destinées s’agitaient déjà dans les chancelleries, et que, vers douze ou treize ans au plus tard, il serait disposé d’elles sans qu’elles fussent consultées, même pour la forme. Elles acceptaient leur sort, comme on accepte l’inévitable, sans que l’idée d’une rébellion leur vînt un seul instant à l’esprit. La princesse Adélaïde fut-elle au courant de ces négociations où, durant trois années, sa petite personne tint une si grande place ? Sut-elle que sa main était offerte tantôt au duc de Bourgogne et tantôt au roi des Romains, suivant que les nécessités de sa politique tournaient Victor-Amédée du côté de la France ou de l’Allemagne ? Quand son père l’appelait, de la chambre où elle jouait, pour la faire voir à Tessé, son œil d’enfant insouciante ne vit-elle en cet inconnu qu’un étranger de passage, ou son imagination de jeune fille en éveil devina-t-elle en lui un envoyé secret de son futur mari ? À ces questions la réponse est impossible, mais si elle soupçonna les négociations qui étaient en cours entre Turin, Versailles et Vienne, et si elle avait une préférence, cette préférence ne pouvait être que pour la France. Sa mère qui, disait Tessé, « étoit demeurée Française, comme si elle n’eût jamais passé les Alpes », l’avait sans doute élevée dans ce rêve brillant qui devait être pour elle une si courte réalité. Elle était encore en bas âge que déjà il était bruit à Versailles de ses inclinations. On lit à la date du 20 avril 1688, dans les Mémoires du marquis de Sourches : « On sut que la princesse, fille aînée du duc de Savoie, étoit extrêmement malade, et Madame la Dauphine en témoigne beaucoup de chagrin, non seulement à cause de la grande proximité, mais encore parce que cette princesse, tout enfant qu’elle étoit, témoignoit déjà qu’elle ne pouvoit être heureuse que si elle épousoit Monseigneur le duc de Bourgogne. »

Il n’était point besoin d’ailleurs des leçons maternelles pour tourner vers la France l’imagination d’une jeune princesse. L’Allemagne passait, non sans raison, pour un pays encore sauvage et triste. Versailles au contraire brillait d’un éclat non pareil, et tous les yeux étaient tournés vers ce soleil dont aucun nuage n’avait encore obscurci les rayons. Approcher de ce soleil,