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pendant la nuit sur les pentes du grand plateau australien où nous nous réveillons à sept heures du matin au petit camp minier en décadence de Southern Cross. C’est ici que je suis initié aux beautés architecturales de la tôle ondulée : comme il ne pousse aux environs que des eucalyptus grêles, qui ne peuvent fournir de bonnes planches, et qu’il faut dans ces camps miniers se faire un logis le plus vite possible, on s’adresse au fer. Quatre plaques de tôle pour les parois, deux pour le toit eu pente, des cloisons en toile séparant les chambres, voilà une maison vite construite et où le bois n’entre que par quelques poutrelles pour former une charpente des plus sommaires. Quant au confortable, il est sacrifié : 40 degrés de chaleur en été quand le soleil donne sur les toits, quelquefois zéro par les nuits d’hiver, voilà les variations de température sous cette tôle trop bonne conductrice de la chaleur, qui ne sait ni la retenir ni l’empêcher d’entrer. A Southern Cross s’arrête le service régulier de chemin de fer, mais l’entrepreneur qui construit la ligne fait partir un train qui va nous conduire en six heures à 100 kilomètres plus loin, à Boorabbin, d’où il nous restera autant à faire en voiture pour atteindre Coolgardie.

Le train de l’entrepreneur n’est pas luxueux : un vieux wagon de seconde classe, mis au rebut par l’administration des chemins de fer, avec un banc de chaque côté. Plutôt que de s’y empiler et s’y enfumer, beaucoup préfèrent s’installer sur les trucks qui portent les bagages et les marchandises, où l’on peut s’arranger quelque confortable avec un pardessus en guise d’oreiller : puis on est à l’air et l’on peut mieux voir le paysage. Il est fort monotone : des eucalyptus assez grands, mais grêles, clairsemés, avec moins de feuillage encore que d’ordinaire, tout juste une petite touffe au bout de chacune des branches qui se détachent symétriquement du tronc, presque au même point : ils ont l’air de grands parasols et remplissent d’ailleurs fort mal cet office. Ces bois maigres alternent avec de grandes plaines découvertes, où rampent des broussailles basses et grisâtres ; une ou deux fois, nous dépassons de légères dépressions couvertes de sable jaune où rien ne pousse : « C’est un lac salé, me dit un compagnon de voyage. — Un lac salé ! mais où donc est l’eau ? — Il n’en paraît à la surface que quelques jours par an, après de fortes pluies, qui sont rares. Mais elle est toujours à quelques pieds sous le sol. » Ce sont ces lacs salés, tout semblables aux chotts de l’Algérie dont l’eau, distillée, sert à alimenter Coolgardie et presque tous les camps miniers de l’ouest australien ; la salure de certains d’entre eux est quatre fois plus forte que celle de