Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il prévoit que Michel-Ange, avec ses académies contournées, que Raphaël avec ses figures neutres et muettes sur des corps si parlans, que Ribera avec l’expression douloureuse de ses faces, seront proscrits par cette définition du grand art et que les primitifs au contraire et certains artistes de la première renaissance seront donnés en modèles. S’il aime par-dessus tout le mouvement des membres déployés, le choc des grappes humaines, les grands effets de rides et de contractions des muscles faciaux, il prendra parti contre l’esthéticien. Mais, en prenant parti contre sa thèse, il rendra du moins hommage à sa clarté. Il le désapprouve, donc il l’a compris.

L’ayant compris, il le suivra sans ennui, si l’homme qui peignit longuement avant que d’écrire, qui travailla enfant avec Richmond, Copley Fielding et Harding, vient à serrer de près quelque question technique ; si, par exemple, traitant de ce « travail impeccable » qu’il recommande comme la première qualité du grand art, il veut nous faire entendre comment les ombres doivent être représentées :


Vous vous rappelez que je vous ai dit que, lorsque les coloristes peignaient des masses ou des espaces en saillie, toujours cherchant la couleur, ils reconnurent du premier coup, et tinrent pour exact jusqu’au bout, ce fait que les ombres, quoique sans doute plus sombres que les lumières vis-à-vis desquelles elles jouent le rôle d’ombres, ne sont point nécessairement pour cela des couleurs moins vigoureuses, mais sont peut-être des couleurs plus vigoureuses. Quelques-uns des plus beaux bleus et pourpres dans la nature, par exemple, sont ceux des montagnes dans l’ombre, contre le ciel couleur d’ambre et l’ombre du creux du centre d’une églantine est un embrasement de feu orange dû à la quantité de ses étamines jaunes. Eh bien ! les Vénitiens virent toujours cela et tous les grands coloristes le voient, et sont ainsi séparés des non-coloristes ou écoles de simple clair-obscur, non par une différence dans le stylo seulement, mais parce qu’ils sont dans la vérité quand les autres sont dans l’erreur. C’est un fait absolu que les ombres sont des couleurs autant que les lumières, et quiconque les représente simplement par la teinte de la lumière atténuée ou assombrie les représente faussement. C’est là une question de fait, non de goût. Si vous êtes d’un tempérament spécialement sobre vous pouvez choisir des couleurs sobres là où les Vénitiens en auraient choisi des gaies ; cela est affaire de goût. Vous pouvez penser qu’il est convenable, pour un héros, de porter vêtement uni plutôt que brodé : cela est pareillement affaire de goût. Mais quoique vous puissiez aussi penser qu’il serait digne des jambes d’un héros d’être toutes noires ou brunes du côté qui est dans l’ombre, cependant si vous usez de couleurs, vous ne pouvez point l’accommoder de telle sorte à votre idée sans être dans l’erreur ; jamais, dans quelque circonstance que ce soit, il ne peut être entièrement noir ou brun sur un de ses côtés[1].

  1. Lectures on art.