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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/878

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de mille hommes, — armés de fusils anciens ou d’armes blanches seulement, milices redoutables vu leur nombre, leur bravoure et leur connaissance du pays. Ces dernières constituaient des réserves de recrutement et des troupes de seconde ligne, où le négus pouvait puiser à volonté pour réparer ses pertes. A la même époque, on avait oublié à Rome que l’empire éthiopien compte 10 millions d’habitans, répartis sur un territoire moins bien délimité, mais beaucoup plus vaste et tourmenté que celui de l’Italie.


III

On sait que les Abyssins, chrétiens orthodoxes depuis le IVe siècle de notre ère, appartiennent à la race éthiopienne[1]. Dans l’ensemble, ils se distinguent par la belle proportion des membres et la régularité des traits ; la plupart sont de taille moyenne, ont les épaules larges, le corps un peu grêle, le front haut, le nez droit et même aquilin, les lèvres épaisses, la bouche avancée, le menton pointu ; ils ont les cheveux légèrement frisés, presque crépus, et la barbe rare. Quant à la couleur de la peau, la dominante est le jaune sombre tirant sur le rouge brique.

Comme soldat, l’Abyssin a des qualités hors ligne. Outre son mépris de la mort, c’est un marcheur infatigable ; il supporte des variations considérables de température ; sa sobriété dépasse de beaucoup celle de l’Espagnol, de l’Italien et de l’His-pano-Américain. En campagne, il se nourrit avec quelques poignées de blé, d’orge grillé ou de pois chiches. La viande ne lui est pas nécessaire ; il subsisterait pendant une année entière avec des rations représentant à peine trois mois de vivres pour un soldat européen. Les fatigues, intempéries et privations ne l’empêchent pas d’être toujours gai et dispos. Son courage est universellement reconnu ; les Anglais et les Italiens eux-mêmes y ont rendu justice[2].

  1. Les mots Abyssin et Abyssinie sont inconnus des habitans du pays, lesquels se désignent eux-mêmes par le nom de Itiopiavan — Éthiopien.
    L’appellation Abyssin provient du dehors et a pour origine le sobriquet habechi — ou mélangés — appliqué par les Arabes conquérans aux gens du massif central de l’Ethiopie, et dont les Portugais, arrivés par le cap de Bonne-Espérance, puis après eux, les Européens ont fait Abyssin. De là Abyssinie.
  2. Le correspondant du Times raconte que, dans la matinée du 23 janvier 1896, après la capitulation de Makalé, on trouva, en se rendant au fort, toutes les pentes y conduisant jonchées de cadavres abyssins, au nombre desquels on en compta cinq, — dont un chef, — tombés à cinquante pas des murailles, après avoir franchi, à découvert, les réseaux de fils de fer tendus en obstacles aux abords de la place. La témérité de ces braves frappa tout le monde. On sut également que les Abyssins avaient tenté d’escalader les ouvrages, du côté d’un précipice, où ils avaient été exterminés.