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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/879

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Les Abyssins observent la foi jurée, ainsi que les clauses des traités et capitulations. Dans plusieurs circonstances ils ont montré de l’humanité vis-à-vis des officiers et soldats italiens trahis par la fortune[1]. Malheureusement, il y a une ombre à ce tableau : dans la fureur de la lutte ils se conduisent parfois, envers leurs adversaires tombés sur le champ de bataille, comme la plupart des peuples orientaux à peine sortis de la barbarie. Des mutilations d’une effroyable sauvagerie ont été commises par eux sur les vaincus. Les ordres lancés par Ménélik de respecter les cadavres et d’épargner les blessés de l’ennemi ont été le plus souvent désobéis. La chaleur du combat et l’enivrement de la victoire ont fait prévaloir mœurs et coutumes anciennes. Les contingens de l’Amhara, plus que tous autres, ont été cruels. Les Ascaris, soldats indigènes — musulmans et chrétiens de race éthiopienne — habilement mélangés, commandés par des officiers italiens, ont rarement reçu quartier, et même en ce dernier cas, ont eu la main droite et le pied gauche coupés, châtiment réservé aux traîtres par la loi du pays, tirée du code Justinien.


IV

La hiérarchie militaire est confuse. Les généraux, qui sont aussi gouverneurs de province, sont nommés par le négus, mais cela, après avoir fait leurs preuves de dévouement. La dignité de ras est la plus haute : le négus en est avare et ne l’accorde qu’à bon escient. Quoique le gouvernement soit féodal, Ménélik n’a auprès de lui que deux princes de sang royal : les ras Mangacha et Mikael, qui jouissent d’une grande réputation militaire. Tous les autres chefs sont des soldats parvenus, sortis de la classe inférieure, le ras Aloula, entre autres, et ne doivent leur élévation qu’à leur propre mérite. Il ne saurait en être autrement chez un peuple toujours armé et en lutte, qui a des traditions et des

  1. Ainsi, la garnison de Makalé, après sa capitulation, n’a eu qu’à se louer des procédés de Ménélik.
    Le médecin militaire Mozetti, détaché, nous l’avons dit, pour soigner le ras Mangacha, a rapporté que le malade, reconnaissant, voulut le recevoir à sa table et obtint du négus l’autorisation d’y inviter, en même temps, deux officiers italiens captifs. Les trois hôtes furent traités avec courtoisie, et burent avec le ras des meilleurs vins d’Italie et de France. Plus tard, le général Albertono a écrit au général Baldissera que tous ses co-prisonniers étaient bien traités, et que l’impératrice avait voulu le voir et lui parler.
    On a vu aussi, tout dernièrement, le ras Mangacha, après entente avec le général Baldissera, permettre à deux compagnies du génie de se rendre sur le champ de bataille d’Adoua pour y inhumer les Italiens tombés dans la journée du 1er mars. Les Derviches soudanais n’auraient certes pas agi de cette façon vis-à-vis des Anglo-Égyptiens.