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borné, mais décidé et actif, l’emporte sur l’esprit supérieur et ouvert, mais irrésolu et rêveur : c’est vrai dans la vie et c’est vrai dans l’art. On ne peut s’empêcher de retomber dans cette réflexion banale lorsqu’on assiste, chaque année, à la série nouvelle des tentatives brillantes et incohérentes auxquelles se livre, par exemple, M. Latouche, dont l’extraordinaire virtuosité ne cesse d’étonner, sans arriver à s’imposer, parce qu’elle n’a pu, jusqu’à présent, se fixer nulle part. Fragonard, Watteau, Tiepolo, Delacroix, Ziem, Benjamin-Constant, Dagnan, les morts et les vivans, les académiques et les romantiques, sans parler des naturalistes et des impressionnistes. Toute une foule de réminescences s’agite dans cette imagination vive et allumée, sans qu’il en sorte autre chose que des feux d’artifice éblouissans et éphémères. M. Latouche avait débuté par des œuvres plus simples et plus saines ; on retrouve son talent, sincère et ressenti, de dessinateur et de physionomiste ; dans sa Réunion de portraits, une jeune femme, assise dans un parc, avec son mari et ses enfans. Ce jour-là, toutefois, ayant pensé à M. Besnard, M. Latouche adonné à sa figure principale une robe jaune, d’un ton si audacieux et si provocant, que l’éclat intempestif de cette étoile triomphante compromet encore autour d’elle la fraîcheur souriante et la vérité des visages.

Les portraits de figures isolées, en pied ou en buste, dans les deux Salons, sont extrêmement nombreux, comme toujours, et fréquemment réussis. Comme portraits officiels, aux Champs-Élysées, le plus important, Sa Majesté l’Empereur de Russie Alexandre III, à cheval, par M. Jean Rosen, est d’une exécution soignée et très précise. C’est aussi avec soin et avec précision que M. le Président de la République est représenté, dans le nouveau Salon, en pied, par M. Rondel, et que, dans l’ancien, M. Félix Faure, chef de bataillon des mobiles de la Seine-Inférieure en 1870, se montre dans une petite toile rétrospective de M. Lemuenier. Images exactes, sinon très vives. Les amateurs de peinture s’arrêtent surtout devant M. Ricard, ancien garde des sceaux, peint par M. Bonnat. Le relief puissant du visage, l’épanouissement et la vivacité de la physionomie, l’exécution ferme et libre des vêtemens et des fourrures, y affirment, à nouveau, la maîtrise de l’artiste qui, dans un portrait de jeune Anglaise, Mrs. Bodley, traité en style anglais, prouve en même temps, à deux pas de là, la souplesse de son pinceau et son sentiment de l’élégance. Le Portrait de M. Brisson, président de la Chambre des députés, par M. Baschet, est d’une belle tenue, grave et digne, dans le style ferme et sobre qui convenait ; celui du Général de Boisdeffre, par M. Victor Gilbert, sérieux et brillant. Parmi les