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s’appuyant de l’autre légèrement sur son long appuie-main posé sur le sol ; une palette, des brosses, des cartons, jetés, à gauche, sur un tabouret, désignent mieux encore sa profession et son occupation. Il regarde attentivement devant lui, sa toile peut-être, ou plutôt il suit une image rêvée. M. Gérome, avec goût, n’a pas insisté sur le mouvement. La sculpture plus d’une fois a voulu caractériser un peintre en lui donnant l’attitude penchée en arrière, l’œil clignotant de l’ouvrier à son travail qui se recule pour mieux juger son effet ; mais cette attitude, trop accentuée, de recul devant un objet invisible qu’on doit, supposer, cause au spectateur plus de surprise que de satisfaction. A Vérone, où. Paul Véronèse est représenté de la sorte, il a surtout l’air, suivant l’heure, d’être étonné par l’effet de certaines constructions nouvelles ou ébloui par l’éclat du soleil. Le Paul Baudry, dans sa tenue familière, a plus de gravité et de dignité. Pour tous ceux qui ont eu l’honneur et le plaisir de fréquenter ce grand artiste, ils retrouveront, dans l’image nette et précise de M. Gérome, cette rectitude d’allure, presque militaire, cette fermeté douce et lente du geste, cette expression générale de conviction et de modestie, de virilité et d’affabilité qui gagnait à Baudry les esprits et qui lui retenait les cœurs. Le visage était surtout remarquable par le contraste apparent entre la fermeté du masque, énergique et fier, hardiment taillé en pleine chair plébéienne et vendéenne, et l’extraordinaire variété de ses jeux physionomiques, avec des éclats hardis et des rentrées discrètes d’un regard tendre et profond, plein de rêves grandioses, de curiosités savantes, d’extases presque enfantines, de caresses presque féminines. Dans une statue, en pied, de grandeur naturelle, il est souvent difficile de conserver au masque même toute sa valeur. M. Gérome y a réussi au moins pour les profils (les trous des yeux donnent, à la face, il nous semble, un peu trop de dureté). Ce n’est pas le moindre mérite de son œuvre, grave et émue, qui rappellera aux compatriotes de Paul Baudry, avec une franchise touchante, le travailleur simple et honnête qui resta toute sa vie à la fois l’admirateur enthousiaste de la beauté antique et l’interprète délicat de la beauté parisienne.

Le bronze en pied de l’Amiral Mouchez, pour un monument commémoratif de la défense du Havre, par M. Ernest Dubois, est exécuté dans un style simple et énergique ; il tiendra convenablement sa place dans l’ensemble dont il doit faire partie. Il est facile de reconnaître un amiral à son costume et un commandant à son geste. Comment exposer aux yeux la qualité et les mérites d’un médecin ? Beaucoup de sculpteurs l’ont déjà fait, soit en revêtant la figure du tablier d’hôpital, soit en l’armant d’instrumens