poursuivi, et ce fait a déjà jeté le trouble dans les consciences de nos jurés quand le débat s’engage.
Ce n’est point ce débat qui va les raffermir ! Nous n’en suivrons pas chaque péripétie, mais il est clair que tous les défauts que nous avons déjà signalés dans les débats criminels ordinaires se trouvent ici décuplés. Il semblerait que cette audience aura pour but de faire la lumière sur les faits reprochés au plaignant ; mais sauf l’intéressé, qui donc songe à cela ? Dès les premiers mots du premier témoin, le point à juger est oublié et dédaigné. Sans doute on a accusé ce fonctionnaire, mais était-ce de lui qu’il s’agissait ? C’était le gouvernement qu’on visait pardessus sa tête, ce sont les procédés généraux de l’administration, de la police ou du ministère, qu’on demande aux jurés de flétrir en absolvant le journal accusateur. Le plaignant n’était cité qu’à titre d’exemple ; si cet exemple était mal choisi, ou bien un peu exagéré, on le regrette ! Mais le jury connaît-il et approuve-t-il les agissemens ordinaires du gouvernement dans des cas analogues ?
C’est sur ce point que la lutte commence. On cite des anecdotes scandaleuses, et s’il s’en trouve une, plus ou moins prouvée, qui excite l’indignation du public, il semble que le journal a cause gagnée. Le ministère et son histoire, le Parlement et la République sont mis en question ; c’est sur des idées générales qu’on appelle les jurés à prononcer. On ne leur demande pas un jugement, mais un ordre du jour. Et si, d’aventure, parmi ces jurés se trouvent quelques politiciens d’opinions analogues à celles du journal poursuivi, s’ils se laissent aller au désir bien français de « dire son fait » au gouvernement en acquittant ceux qui l’injurient, n’oublieront-ils pas aisément, dans ce débat grossi et dévié, qu’ils déshonorent ainsi le pauvre diffamé confié à leur justice ?
Ce plaignant, cependant, fût-il un député ou même un fonctionnaire, a bien droit à des juges ! Il a droit à ce que les jurés saisis de son affaire prennent le procès où il est, et non où la fantaisie de son adversaire le place. La loi admet qu’il soit un accusé, mais non pas un accusé sans défense !
La loi admet, disons-nous, qu’il soit un accusé, car, en matière de diffamation contre les fonctionnaires, le législateur permet, et encourage en quelque sorte par l’impunité, les diffamations reposant sur des faits vrais et démontrés : « Celui qui dénonce à l’opinion des faits vrais appartenant à la vie publique