grossièreté et de l’insolence du parler. Crois-moi, nous autres, nous n’avons pas de patrie ! Et si je suis Allemand, c’est que je porte mon Allemagne, à moi, dans mon propre cœur ! Heureusement, d’ailleurs, car la garnison de Mayence ne m’a pas inspiré d’enthousiasme. »
Et pourtant, Wagner, jusqu’à sa mort, garda sa foi inébranlable dans ce qu’il aimait toujours à nommer « l’âme germanique ». C’était, pour lui, la Belle au bois dormant, la Brünhilde cachée sous la lourde cuirasse et sous le casque pesant ; l’art allemand était le Siegfried destiné par les dieux à la réveiller de son long sommeil. Cette nouvelle Allemagne, régénérée, purifiée, le maître la dotait d’avance de tout ce que peut rêver de beau et grand un poète de génie. Comme Rousseau, il pouvait dire : « Je vois tout cela dans ma patrie, parce que je le porte dans mon cœur. » Je ne connais rien de plus admirable chez Wagner que ce patriotisme obstiné, que les amertumes d’une vie entière ne sont point parvenues à ébranler ; et il n’était pas sans intérêt de montrer la large part de l’influence étrangère et française dans la genèse de cette foi en « l’unie germanique », sans laquelle Wagner n’aurait pas pu accomplir l’œuvre de sa vie.
Comparer le génie de Wagner et celui des poètes, des écrivains et des compositeurs français, étudier les rapports qui peuvent exister entre eux, c’est là un trop vaste sujet pour que, dans une étude d’ensemble, je puisse faire autre chose que de l’effleurer. Mais puisqu’on s’en tenant aux généralités il arrive trop souvent qu’on parle sans rien dire, j’écarte systématiquement bien des remarques qui ne laisseraient pas d’avoir leur importance, pour n’insister que sur deux points, tous les deux à mon sens d’un intérêt supérieur.
Et d’abord, pour comprendre en quoi le génie allemand, tel qu’il s’incarne en Wagner, est apparenté au génie poétique de la France, il faut se faire une très nette idée du degré d’affinité réelle qui existe entre son œuvre théâtrale et l’opéra classique français. Ce rapport une fois précisé, on pourra se convaincre aisément que le drame wagnérien possède des attaches plus intimes encore avec la tragédie française du grand siècle.
J’entends par « opéra classique français » cet opéra qui va de Lulli à Spontini, et que l’on ne saurait confondre avec l’opéra italien. Peu importe que des Italiens, comme ce même Lulli, comme Cherubini, que des Allemands comme Gluck, aient collaboré à cette œuvre nationale : elle reste française par son