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VII

Or l’idée qui fait son chemin dans les Balkans, sous des formes rudimentaires et souvent heurtées, parce que les instincts organisateurs y luttent péniblement contre un arriéré de culture, c’est la réintégration de la race jugo-slave dans le monde européen. Elle demande à y rentrer non comme une cliente, mais comme une sœur. Elle réclame cette portion de droit commun que l’Europe, à mesure qu’elle s’élaborait, est censée avoir mise en réserve pour les co-partageans absens. Ce n’est pas encore d’une extension de libertés qu’il s’agit : dans une grande partie de la péninsule elle serait fatale. C’est une correction d’optique internationale, un déplacement du prisme à travers lequel le vieux monde a vu jusqu’ici, dans ces groupes isolés et de civilisation inégale, au lieu d’une entité ethnique, je ne sais quelles pièces accessoires dont l’échiquier diplomatique a besoin. L’influence dans les Balkans, au siècle prochain, appartiendra vraisemblablement à la puissance qui, rompant avec la routine des cabinets, aura fait de cette idée la base de sa politique.

Que sont donc les Balkans ? Le diplomate dira : C’est la région litigieuse qui s’étend du Danube à l’Archipel et à la mer Noire ; le Slave du sud, installé au centre du problème : C’est « l’expression géographique de l’étendue sur laquelle vit notre race[1]. » Autant dire, et il y a, en ceci, une vérité, que le domaine territorial de la question d’Orient commence à la frontière du pays Slovène. Définition rigoureuse, d’une rigueur presque candide, imprégnée, si vous voulez, de cette logique de jeune élève qui met un imparfait du subjonctif là où l’usage et l’euphonie le prohibent. C’est de la logique tout de même, et, grammaire en main, l’élève a raison. Ainsi entendu, le « balkanisme » est un phénomène identique à celui qui a présidé, en Europe, à tous les processus d’unification ; et ce rapprochement entre de plus en plus dans les habitudes intellectuelles des Jugo-Slaves.

A tout mouvement d’unification, il faut un centre. Voilà le principe auquel le serbisme se tient, et qui fait sa force. Reste à savoir s’il ne le proclame pas trop tôt et s’il est impartial, s’en appliquant le bénéfice à lui-même. On n’est pas toujours juste envers la Serbie, quand on lui reproche son défaut de stabilité à l’intérieur et les insomnies qu’elle cause à ses créanciers. Sa puissante voisine ajoute beaucoup, par ses intrigues, à la confusion

  1. Bogdanov, op. cit.