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marquait l’inauguration d’un théâtre vraiment national. Transposant dans son art les légendes déjà popularisées par les poésies de Wieland, de Bürger, de Goethe et de Jean-Paul, ce jeune homme inspiré avait su leur prêter le charme de ses mélodies entraînantes et le brillant coloris de son orchestration. Dans Euryanthe et Obéron, qui suivirent, Weber, sans obtenir le même succès, achevait de prendre possession de ce monde des esprits, monde terrible ou charmant, qui peuple les profondeurs mystérieuses des forêts ou des mers, et dans lequel l’imagination de tous les peuples et de tous les âges s’est toujours plu à personnifier les forces et les grâces de la nature. Les ouvertures de ces divers ouvrages sont, en réalité, des morceaux symphoniques, mais qui, pour avoir toute leur signification, ne doivent pas être séparés des opéras pour lesquels elles ont été écrites, car elles n’offrent qu’une suite de motifs rapprochés les uns des autres, sans aucun souci de l’unité thématique. Weber, dont la virtuosité comme pianiste était remarquable, a cependant écrit des sonates et des concertos pour piano, ainsi que des trios ou des quatuors où, avec quelques traits qui ont un peu vieilli, on retrouve quelque chose de sa verve et de sa fougueuse vivacité. Mais ce n’est pas là son véritable élément, et la fécondité de ses inventions mélodiques, qui fait surtout de lui un compositeur dramatique, n’est pas suffisamment étayée par la science du développement pour qu’il ait atteint dans la musique purement instrumentale une pareille supériorité.

A raison des dons merveilleux qu’il avait reçus, un autre maître de cette époque, Franz Schubert, semblait mieux fait pour y exceller. Mais les difficultés de son existence et sa mort prématurée, à l’âge de trente et un ans, l’empêchèrent de donner sa mesure, et jusqu’à la fin de ses jours il devait lutter contre la gêne. Peu pratique dans la conduite de ses affaires, modeste et résigné à l’obscurité, il était déjà en possession d’un talent remarquable sans que personne s’en doutât autour de lui. Il ne trouvait pas d’éditeur, et son Roi des Aulnes était composé depuis cinq ans déjà quand, par hasard, un chanteur en vogue le fit connaître au public viennois. Un homme plus habile aurait profité de cette occasion pour se pousser lui-même, mais Schubert était absolument dépourvu d’habileté, et il continua de produire au jour le jour, s’abandonnant sans compter à sa verve abondante et facile. Ses petits ouvrages, Lieder, Momens musicaux, morceaux de piano à deux ou quatre mains, constituent, à vrai dire, le meilleur de son œuvre. En faisant revivre l’ancienne chanson populaire de l’Allemagne, Schubert en avait rajeuni la forme et l’esprit. Ses nombreuses productions en ce genre sont des modèles