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restaurans, nous restions là, les bras ballans, et, je rougis de le dire, presque heureux que le jour du départ ne fût pas le jour présent.

J’ai sous les yeux quelques notes prises le soir, quand, par hasard, je pouvais respirer dans ma chambre. Elles feront mieux comprendre que toutes les réflexions l’espèce de torpeur béate dans laquelle vivent tristement les habitans de la côte, et elles donneront peut-être une impression assez exacte de ces bourgs perdus sur des grèves désertes, quand ils ne sont pas, comme Iquique, secoués par la trépidation des négoces effrénés. Notez cependant qu’Antofogasta, autrefois le seul havre de Bolivie avec Cobija, possède d’énormes établissemens industriels et un chemin de fer d’une extrême importance, qu’on en exporte du salpêtre, du borax, des minerais d’or, des barres d’argent, que sa population se compose d’Anglais, d’Allemands, de Boliviens et de Chiliens ; et que, pour les gens des hauteurs, elle apparaît comme la Mecque du plaisir, une des grandes marchandes de sourires du Pacifique.


Lundi soir, 4 février.

J’ai visité la ville, qui n’est qu’une réduction d’Iquique. Toutes ces villes ont le même caractère de campement sans audace ni pittoresque. Etouffées par des hauteurs poudreuses, aveuglées par le soleil, assourdies par l’Océan, elles ne révèlent chez leurs hôtes aucune énergie morale. On s’y établit pour vivre au jour le jour. Des rues montantes, larges et vides, peu ou point de trottoirs ; du sable et de la poussière. La place centrale ressemble à un immense terrain vague. Elle est découpée en carrés de luzerne. Au coucher du soleil, assis sur un banc, je me croyais dans un de ces champs pauvres, que dominent les fortifications de Paris. D’un côté l’Intendance, une jolie maison particulière et les Postes et Télégraphes ; de l’autre l’Eglise, tout en bois et d’un style à prétentions mauresques, l’Alhambra du bon Dieu. Ce soir, par la porte ouverte, une veilleuse suspendue filtrait des lueurs d’étoile rouge. Je suis entré. Trois chandelles allumées sur le maître-autel éclairaient vaguement la silhouette d’un prêtre qui psalmodiait des prières, et je comptai sept ombres encapuchonnées de mantos, qui, disséminées sous la nef, accompagnaient d’un murmure inintelligible sa voix tombante. Et ces formes noires dansant au reflet des lumières jaunes, et d’où s’échappaient de sourds ronronnemens, me produisaient un effet de fantaisie macabre. Dieu, qu’elle était triste, cette église d’Antofogasta, avec ce bruit de prières anonnées, le silence autour d’elle, et la grande rumeur des vagues à l’horizon !