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rudimentaire. S’il a emprunté au Monte-Cristo du vieux Dumas le gros effet de mélodrame qui lui sert de dénouement, c’est qu’il se souciait uniquement de frapper fort. S’il a poussé les portraits à la caricature, c’est qu’il voulait faire saillir davantage certains traits et par-là mettre sa pensée dans un relief plus saisissant. S’il choisit, entre les plaisanteries, les plus faciles, et, par exemple, accumule les comparaisons saugrenues pour traduire l’impression réfrigérante de l’intérieur provincial des Lescuyer, c’est afin de se mettre à la portée de toutes les intelligences. S’il s’égaie aux dépens de la duchesse douairière de Château-Branlant, du vicomte de la Houstepilière, de Mlle de la Tour-Prends-Garde et de l’évêque de Seringapatam, il sait aussi bien que nous ce qu’il faut penser de ce genre de facéties. Quand il offre à son lecteur de lui payer une tournée, « mais là, vous savez, une tournée de tout ce qu’il y a de plus distingué en fait de consommation », et quand il affecte d’émailler son style de mots empruntés au vocabulaire des rues, c’est pour nous mettre à l’aise et dissiper ce brin de gêne qu’on éprouve parfois devant un académicien, gardien patenté du langage de Bossuet. Souvent on croit surprendre des traces de rhétorique. « Allons, juge austère, magistral implacable, mets la robe écarlate à l’épitoge d’hermine et la toque galonnée d’or. Au devoir ! Brandis le glaive de la Loi, amoncelle les foudres sur ce front coupable ! Pour immoler ton fils, tu n’as pas la vertu de Brutus, mais l’ange de la justice guide ton bras, nouvel Abraham… » Ces choses, si elles avaient été écrites de sang-froid, seraient bien emphatiques. Mais justement M. Coppée n’est pas de sang-froid. Il a fait une œuvre de pitié, non pas une œuvre d’art. Il n’a pas accepté un seul instant que l’attention se détournât sur l’habileté du romancier et s’égarât sur les mérites de la forme. Il a voulu faire porter tout l’intérêt sur les idées elles seules. Nous avons hâte d’y arriver.

Nous nous demanderons d’abord à qui en a l’auteur du Coupable. Car s’il prétend seulement démontrer qu’un père ne doit pas abandonner ses enfans, et, ayant eu le plaisir, laisser la peine aux autres, il a d’avance partie gagnée. Il est évident que l’acte d’un Jean-Jacques Rousseau portant ses petits aux Enfans-Trouvés est monstrueux. Mais la démonstration est trop facile et elle a été faite trop souvent pour qu’il fût nécessaire d’y revenir et d’y apporter cette grande dépense de mise en scène et ce grand renfort d’éloquence. On ne prend pas tant de peine pour enfoncer une porte ouverte. Il faut que M. Coppée ait eu d’autres visées. Son objet, en poussant ce cri d’alarme, était de signaler le vice de certaines institutions, l’iniquité d’usages acceptés, le pharisaïsme d’opinions reçues. En fait, le plaidoyer pour Chrétien Forgeât est un réquisitoire contre beaucoup de choses et beaucoup de gens.

C’est d’abord un réquisitoire contre les gendarmes. M. Coppée