Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le but étant de faire du Conseil d’Etat l’organe spécial et nécessaire de la législation.

Ce corps légiférant, comment se recruterait-il ? Pour qu’il rende pleinement ce qu’il doit rendre, il est manifeste qu’il ne faudrait pas le peupler de préfets fourbus, d’avoués sans clientèle, de hauts fonctionnaires mûrs pour la retraite, et de jeunes gens qui ne se sont guère distingués autre part que dans l’antichambre d’un ministre. Le mieux serait qu’il fût comme un suprême corps constitué, où les grands corps constitués de l’Etat (non point les chambres, mais la Cour de cassation, la Cour des comptes, l’Institut, l’armée, la marine, etc.), enverraient tous des délégués. J. Stuart Mill recommandait que les membres en fussent peu nombreux ; mais en trop petit nombre, dans une démocratie, ils n’échapperaient pas à la suspicion, et, devant les Chambres comme devant le pays, ils manqueraient d’autorité.

Ils en manqueraient aussi inévitablement, si, par leur nomination, ils dépendaient de l’exécutif et semblaient devoir être à sa dévotion. Mais ne pourrait-on pas arriver à faire que le recrutement de ce Conseil d’Etat élargi, fût, pour ainsi dire, automatique, en disposant qu’y siégeront de droit les deux ou trois plus anciens conseillers de la Cour de cassation, les deux ou trois plus anciens conseillers de la Cour des comptes, les deux ou trois plus anciens généraux de division et vice-amiraux, les deux ou trois plus anciens membres de chacune des classes de l’Institut, etc. ?

Formé de cette manière, le Conseil d’Etat légiférant serait réellement doué d’autant d’indépendance que peut en comporter la condition des hommes, et, autant qu’il est possible, affranchi de tout lien : nec spe nec metu, sans crainte et sans espérance ; puisque ses membres, parvenus au sommet de leur carrière et au bout de leur ambition, n’auraient plus rien à perdre par la résistance, ni par la complaisance rien à gagner. En même temps que les plus fortes garanties d’impartialité, ils présenteraient, du fait même de leur recrutement, les garanties les plus fortes de compétence, et il serait malaisé de réunir, les hommes étant les hommes, plus de désintéressement, d’expérience et de lumières.

Mais, au surplus, le mode de recrutement de ce Conseil, c’est encore une question secondaire, et sur laquelle, quant à présent, nous n’insisterons pas, pourvu qu’on s’attache à ceci : qu’il faut arriver à en faire un grand conseil légiférant, le principal corps légiférant de l’État ; et par ce motif excellent que, dans l’Etat, il n’y en aurait point de plus apte à remplir une telle fonction. Le Sénat, même comme nous le concevons, y serait évidemment moins apte, et la Chambre des députés, même comme nous la