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point comme sur tant d’autres, Renan se soit trompé ; mais j’ai connu Auguste Comte ; tout en me tenant loin de lui, je me suis trouvé bien placé pour connaître dans les plus minutieux détails quelques-unes des affaires qui ont troublé sa vie. Je dirai tout ce que je sais, sans consulter, — j’en préviens le lecteur, — aucun document officiel, en négligeant même les plus faciles à se procurer. Il se pourra que quelques détails soient contredits par des pièces authentiques ; que, par exemple, je rapporte au 7 Moïse 62 une conversation, une décision ou une lettre du 9 Aristote 63 ; quelquefois, peut-être, j’affirmerai avec confiance ce que j’ai vu et entendu, sans ignorer qu’on peut démontrer le contraire. Dans un grand nombre de cas, les preuves ne prouvent rien.

Auguste Comte, à toutes les époques de sa vie, a excité l’admiration. Au lycée de Montpellier, où il entra comme interne à l’âge de neuf ans, on le disait merveilleusement doué. Les études littéraires, très restreintes dans l’Université impériale, étaient terminées pour lui à l’âge de 12 ans. Dans ses classes de sciences, réduites alors à l’enseignement des mathématiques, ses succès furent rapides et brillans. A l’âge de 15 ans, il aurait pu entrer à l’Ecole polytechnique. En attendant dans les murs du lycée l’âge réglementaire de 16 ans, il était pour ses camarades un maître bien plus qu’un rival. Lorsque le professeur Encontre, savant homme, dit-on, était malade ou forcé de s’absenter, il confiait à Comte la suppléance, et personne ne s’en plaignait. Comte fut admis à la fin de l’année par l’examinateur Francœur qui lui accorda le premier rang entre les candidats de sa tournée.

Littré, à cette occasion, commet une légère erreur. « Dans ce temps-là, dit-il, il n’y avait pas, parmi les élèves admis à l’Ecole polytechnique, un unique premier, mais quatre premiers. L’admission appartenait à quatre examinateurs, dont chacun établissait sa liste propre. »

Il est bien vrai que quatre examinateurs différens examinaient chacun le quart des candidats, et recevaient chacun le même nombre d’élèves ; mais la liste générale était arrêtée par un jury. Les premiers des quatre listes étaient soigneusement comparés. Pour choisir entre eux le chef de la promotion, on consultait les procès-verbaux d’examen et les compositions écrites. En 1814, le premier candidat admis se nommait Guichard, le second était Duhamel et le troisième Lamé : la lettre d’admission de Comte, signée par le général Dejean, lui annonça qu’il était classé sous le numéro 4.

Si je rectifie une erreur aussi insignifiante, c’est que j’y vois un trait de caractère. L’esprit critique d’Auguste Comte n’a pas