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duré plus d’un siècle et demi ; tombée en ruines, on appela pour la restaurer deux maîtres de Pskov, qui firent de mauvaise besogne ; puis on alla jusqu’à Rome louer aux gages mensuels de dix roubles un certain Fioraventi, surnommé Aristote pour la finesse de son esprit. L’Italien construisit d’abord une briqueterie, forma une école de maçons, usa d’un nouveau mortier ; les Moscovites venaient admirer ses machines ; mais la rigueur du climat et celle des mœurs l’épouvantaient. Il vit une fois saigner et mettre en pièces le médecin Antone, dont tel était le crime que, chargé de soigner un jeune prince tartare, il n’avait pas su l’empêcher de mourir. L’architecte eût volontiers repris le chemin du sud ; au moins se hâta-t-il d’achever sa besogne. Quatre ans après l’ouverture des travaux, en 1479, le métropolite consacrait le temple.

C’était déjà l’habitude russe de soumettre les artistes étrangers aux traditions nationales ; Aristote Fioraventi devait s’inspirer de l’Ouspiensky sobor existant dans la ville de Vladimir. Il alla voir son modèle, trouva là deux églises dans une, et, se bornant à l’imitation des détails extérieurs, construisit à la fin sur une idée qui lui était propre.

Suivant un plan rectangulaire s’élèvent des murs droits, couronnés de cintres qui sont la trace des voûtes intérieures et que soutiennent des pilastres engagés dans les façades ; ainsi la décoration extérieure se borne à manifester aux yeux le mode de construction. Les coupoles qui couronnent l’édifice sont de l’ordre le plus simple : un tambour maçonné, ajouré de minces fenêtres, coiffé du dôme à double courbure, puis de la croix rattachée par de minces chaînettes au toit bulbeux et doré. Une porte basse et comme secrète dont l’ébrasement s’enveloppe d’un grand nombre de tores et de pilastres et que domine un panneau décoré de hautes images, cette porte russe ouvre sur une nef romane.

Au dedans, les colonnes, fûts cylindriques sans chapiteaux, sans cannelures, sans gorgerins, peintes tout entières sur leurs surfaces d’or, soutiennent neuf berceaux symétriques, dont les arêtes tantôt tracent simplement les intersections des voûtes et tantôt se perdent dans les profondeurs des coupoles. Le regard s’y perd avec elles ; la lumière, qui se répartit également sur le métal et la couleur et n’accuse par aucune ombre la convexité des surfaces, crée des perspectives fausses et mystérieuses ; on ne sait jusqu’où plongent ces puits percés dans le ciel et du fond desquels regarde un Christ aux grands yeux, peut-être à portée de la main et peut-être à l’infini ?

La grande iconostase présente sur plusieurs rangées d’images le panthéon des saints russes ; l’autel, le trésor, le reliquaire,