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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/612

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comptent parmi les plus riches et les plus vénérés. Mais ce qui nous frappe, nous autres étrangers, c’est cette alliance entre l’élégante unité de l’architecture et l’abondance naïve de l’ornementation ; c’est cette rencontre de deux arts bien étrangers, bien lointains, si facilement conciliés entre eux. Pour la première fois, l’esprit latin aidait ici l’âme russe à se comprendre ; il lui montrait des principes qu’elle-même n’avait pas dégagés, et qui, manifestés par l’intelligence étrangère, n’en devenaient que plus nets et plus nationaux.

L’ordonnance du Blagovéchensky sobor est moins noble ; mais les richesses artistiques en sont plus rares et plus spécialement russes. Le porche, aux élégantes et fines moulures, débouche dans une galerie qui entoure le sanctuaire ; des saints sont peints sur les murs de cette entrée, et près d’eux, Dieu sait pourquoi, Aristote, Socrate, Thucydide et Platon. Des icônes pieusement vénérées sont suspendues aux autels ; l’une fit avec Ivan le Terrible la campagne de Kazan ; une autre, Notre-Dame du Don, était avec Dmitri Donskoï à la bataille de Koulikovo ; elle n’a pas moins sauvé la Russie que la miraculeuse Vierge de Vladimir ; enfin l’image du Sauveur Très Adorable écoute les prières depuis les temps de Jean Kalita.

L’Archangelsky sobor porte aussi la trace du compas italien ; mais elle est sombre, triste, encombrée. C’est l’église mortuaire où la piété du peuple mélange aux reliques des saints et des martyrs la cendre de quarante-cinq empereurs. Tout ce qui entre au Sobor, et même par la porte du crime, est sacré. Ivan IV y repose à côté de ce fils qu’il a tué d’un coup d’épieu. Le césarévitch Dmitri, dont le poignard de Boris Godounof a fait un ange, a là sa châsse expiatoire ; des vitrines conservent ses gants, sa bourse, sa robe tachée de ce sang avec lequel se tarissait la descendance d’Alexandre Nevsky. Tandis que le Blagovéchensky sobor sert traditionnellement pour les baptêmes et pour les mariages des empereurs, l’Archangelsky est l’asile sépulcral qui reçoit leurs restes ; en sorte que le cycle de leur vie soit tout entier contenu dans l’enceinte de la cour sacrée, et que lors de sa marche solennelle à travers les trois sanctuaires l’empereur nouvellement couronné parcoure en un instant les trois étapes de sa destinée : naître, régner, mourir.


VII

La cour s’est remplie presque dès l’ouverture des portes, car les cartes d’invitation portent, outre la date du 14 mai, le terme