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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/627

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hardis nageurs de ressac à Hawaï, chevauchant leurs petites planchettes, hardis, agiles, étroits de hanches avec des biceps prodigieux et des têtes impudentes de jeunes dieux posées orgueilleusement sur de larges épaules. C’était la fleur du sang de Meha, et tous nageaient, sans exception, comme des marsouins.

« Il y avait une brèche dans le récif devant nous, la mer le savait et semblait prendre un plaisir spécial à bondir sur le rivage comme si elle allait tout dévorer. Kahèle et moi, nous contemplions les nageurs, ravis du spectacle qu’ils nous donnaient. Kahèle ne résista pas longtemps à l’envie d’y jouer un rôle. Comme on lui offrait une plancha qui eût fait pour son cercueil un couvercle excellent, légère comme un bouchon et lisse comme une glace, il se dépouilla en un clin d’œil de son dernier titre à la respectabilité, saisit ce diminutif de radeau et plongea avec lui dans la première vague qui allait se briser au-dessus de sa tête, à trois pieds de là. Une autre vague suivait, mais il passa dessous avec aisance. Au cri de « Sésame ! » les portes d’émeraude s’ouvrirent et se refermèrent après lui. On eût dit un triton se jouant parmi les élémens et tout à fait at home dans cet endroit fort humide. La troisième et la plus puissante des lames rassemblait ses forces pour donner l’assaut au rivage. Arrivé tout près d’elle, Kahèle plongea et reparut de l’autre côté de la montagne liquide, balancé une seconde dans le gouffre transparent, puis il décrivit un tour brusque, enfourcha le monstre énorme et s’étendit tout de son long sur la planche fragile en se servant de ses bras comme un oiseau se sert de ses ailes, planant de fait avec la vague sous lui. A mesure qu’elle s’élevait, il grimpait au sommet, et là, au milieu d’une mousse bouillonnante de Champagne, sur la crête de cette avalanche marine qui menaçait de s’écrouler et de se dissoudre en l’emportant, son point d’appui disparaissant tout entier dans l’écume, Kahèle, au faîte même de la dernière bulle, dansait pareil à une ombre. Il bondit sur ses pieds et nagea dans les airs, nouveau Mercure effleurant de la pointe du pied une montagne qui baise le ciel, léger, vaporeux, avec je ne sais quelle suggestion d’ailes invisibles. Cette métamorphose ne dura qu’un moment. Presque aussitôt, l’intrépide sautait sur la plage, poursuivi par une vague hurlante qui lui mordait les talons. Ce fut quelque chose de glorieux et de presque incroyable. »

Kahèle de Hawaï, Kana-Ana de Tahiti, Hua-Manu des îles Pomotou, voilà les héros de Stoddard. Ce n’est aucune de ces belles filles aux colliers de jasmin, ni elles toutes ensemble qui l’ont retenu et ramené dans les paradis des mers du Sud, mais des amitiés, amitiés de sauvages, plus dévouées, assure-t-il, que l’amour d’aucune femme, et dont il nous dit que le docteur, son